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MALGRÉTOUT

aussi d’une bonne récolte. Je pourrai vivre maintenant paisible dans ma famille en donnant des leçons. Pour Abel, qui n’aura jamais la patience de professer, il faut plus d’argent, et quand j’ai été forcé de le quitter, il a été dans le nord, comme je vous l’avais annoncé. Ses affaires ont marché mieux et plus vite qu’il n’y comptait. Il est revenu par la Prusse, l’Allemagne et là Suisse. Il m’avait écrit que de là il se rendrait à Paris. Une chanteuse qui a été fort belle et qui a encore de très longs cheveux, celle que vous avez vue probablement, l’a fait changer d’itinéraire ; il me l’a écrit. Elle allait dans le midi de la France, puis en Italie. Elle lui a persuadé que là encore il y avait une bonne chance à saisir. Ici je m’arrête, je vous dois une explication. — La Settimia n’est plus jeune, elle a un certain talent, beaucoup de brio et d’aplomb ; à elle seule, elle n’est pas une étoile, mais son concours est très utile dans un concert. Nous l’avions rencontrée à Venise ; elle s’était éprise d’Abel et avait voulu le suivre en Orient. Il ne voulait pas de femmes dans cette dure expédition. Il refusa et la quitta sans aucun regret, et maintenant je peux vous jurer sur l’honneur qu’il n’avait pas répondu à son caprice, qu’elle n’avait pas été sa maîtresse. Elle a de l’esprit et de la gaîté. Il aimait à causer et à rire avec elle, mais il la trouvait trop fardée et déclarait n’avoir aucun désir de sa personne.

— Si c’est elle que j’ai vue, répondis-je, il a changé d’opinion sur son compte.

— Cela n’est pas certain du tout.

— Quoi ! il l’aurait amenée dans sa chambre…

— Pour faire avec elle les comptes de la soirée et lui payer sa part, c’est fort possible ; Abel a un homme de confiance qui porte dans sa chambre le montant des recettes et lui en remet la clé. La Settimia, qui dépense beaucoup, a pu avoir besoin d’argent le jour même. Abel, ne pouvant régler l’affaire dans le bruit du souper, a pu monter chez lui avec elle, lui remettre cinq cents francs et la reconduire ; c’est peut-être ce que vous eussiez constaté, si vous n’eussiez été prise d’épouvante et de dégoût. Les paroles que vous avez entendues ne donnent pas de démenti à la version que je vous propose.

— Vous ne sauriez pourtant m’affirmer que c’est la vraie ?

— Non, sans doute, mais c’est la vraisemblable. Tant de femmes jeunes et belles courent après Abel qu’il est devenu difficile. Je ne saurais me persuader que les quarante ans de la Settimia aient éveillé son caprice. Vous voyez que je ne cherche pas à vous tromper. Abel ne vous a pas été fidèle dans toute l’acception du mot : son cœur vous a gardée exempte de rivalité ; mais sa nature fougueuse et le peu d’importance qu’il attache aux aventures qui viennent le trouver…