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Ainsi le saint-père tranchait d’office et d’avance une partie des questions qu’il avait l’air de soumettre au concile.

On se demande à quoi bon cette vaine représentation. M. Thiers disait un jour avec une haute raison qu’il y a quelque chose de pire que l’absence de parlement, c’est un parlement fictif, qui n’est là que pour faire illusion. Telle est la grande assemblée du Vatican. Elle est certainement moins libre que le conseil d’état le plus soumis. Qu’on suppose un corps législatif où l’on ne puisse faire une seule proposition sans l’agrément du souverain, où le droit de réplique directe n’existe pas, où les commissions soient annulées, où l’opposition ne puisse faire entendre sa voix, où toutes les manifestations libérales soient étouffées ; il serait la risée du monde. Il est triste de penser que l’assemblée qui devait être libre entre toutes, parce qu’elle traite de ce qui touche de plus près à la conscience, est au-dessous du dernier des parlemens. Comment, devant une organisation semblable, ne pas se rappeler ce mot d’un apôtre : « là où est l’esprit de Christ, là est la liberté ? »

Nous n’essaierons pas de deviner, grâce à des indiscrétions plus ou moins apocryphes, ce qui s’est débattu au concile depuis qu’il est ouvert. On sait que la minorité a énergiquement discuté sur les points de règlement et de discipline, et que le parti romain est impatient de lui enlever ce qu’un polémiste religieux appelait « la liberté du mal, » c’est-à-dire la parole. Les décrets préparés sur les relations du pouvoir civil et de l’église dépasseraient toutes les prévisions ; ils formuleraient avec audace la tyrannie religieuse la plus absolue. L’événement le plus grave est la pétition pour l’infaillibilité papale, qui suit son cours. Cette démarche prouve que la majorité ne recule pas devant l’opposition des cent cinquante évêques qui protestent dans un contre-document. On espère encore que le concile ne tranchera pas cette dangereuse question ; mais il semble bien difficile, au point où en sont les choses, qu’il se taise, car alors on se demanderait à quoi sert une assemblée qui prétend aux lumières d’en haut, si elle ne peut trancher les problèmes ecclésiastiques ou dogmatiques dès qu’ils sont graves, et parce qu’ils sont graves. Ceux qui s’applaudiraient de cette fin de non-recevoir comme d’un triomphe se réjouiraient en définitive d’un acte équivalent à l’abdication de l’autorité conciliaire. D’un autre côté, nous savons ce qu’entraînerait la proclamation du fameux dogme. Aura-t-on recours à l’équivoque, à la formule élastique ? Qui tromperait-on ainsi ? Ne sait-on pas que les bulles pontificales donneraient promptement un commentaire qui serait une définition précise ? On parle de la prorogation du concile comme d’un remède. Si cette prorogation n’était pas une dissolution réelle, elle ne ferait que reculer