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d’une fraude pratiquée par les scribes du pape au concile de Florence, lequel semblait n’avoir d’autre objet que la réunion de l’église grecque à l’église d’Occident, mais dont le but réel était de river les chaînes de la chrétienté, un moment détendues ; on ne fit avec les Grecs qu’une paix plâtrée, parce qu’ils ne représentaient à cette époque qu’un empire aux abois et qui cherchait partout des appuis. Néanmoins la curie romaine a tiré de cette assemblée un grand bénéfice pour ses prétentions. Le décret principal du concile de Florence avait été formulé d’une manière assez ambiguë. « Le pape, disait ce décret, est le vicaire du Christ, la tête de toute l’église, père et docteur de tous les chrétiens ; il a reçu de Christ le plein pouvoir de gouverner l’église et de la garder en la manière qu’indiquent les conciles œcuméniques aussi bien que les canons. » Les Grecs trouvaient dans ces derniers mots une restriction suffisante à l’omnipotence de l’évêque de Rome ; ils entendaient s’en référer ainsi aux grands conciles œcuméniques des premiers siècles, tandis que les Latins, de leur côté, entendaient par là ces mêmes conciles falsifiés par leurs juristes, et les synodes de Latran, qui certes n’avaient nul besoin d’être révisés. Cependant à Rome on ne se contenta pas de cette équivoque ; on ajouta trois lettres au texte du décret de Florence dans la traduction qui en fut donnée. Le canon original portait : le pape a reçu le pouvoir en la manière qu’indiquent les conciles. On traduisait à Rome : il a reçu le pouvoir, et c’est aussi ce qu’indiquent les conciles, — quemadmodum etiam au lieu de quemadmodum et. — Etiam au lieu de et, ce n’est rien, et pourtant c’est tout ; la fraude est consommée.

Si la réforme enleva une partie de l’Europe au saint-siège, elle contribua en même temps à précipiter le mouvement de concentration qui accroissait l’autorité pontificale par les nécessités mêmes de la guerre religieuse. La papauté eut ses janissaires dans l’ordre des jésuites, et trouva en eux des défenseurs non moins impérieux. Ils la défendirent à outrance, mais en s’imposant à elle et en la contraignant en définitive de servir leur système d’autorité. Elle devint tout ensemble leur idole et leur instrument. La réaction contre le joug des jésuites fut énergique, surtout en France, où la tradition de Gerson et de l’Université de Paris était soigneusement cultivée par les juristes de la royauté triomphante. La centralisation de Paris ne pouvait s’accorder avec la centralisation de Rome, sans parler des légitimes résistances de la conscience chrétienne. Le concile de Trente mit aux prises les deux tendances ; l’épiscopat de France et celui d’Espagne tinrent tête longtemps aux prétentions papales. C’est dans cette lutte plus ou moins ouverte que fut l’intérêt principal du concile, car, pour les graves questions