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excursions. Les rives de l’Hudson me semblent les plus pittoresques du monde. Les bateaux à vapeur, véritables hôtels flottans, qui font un service régulier sur ce fleuve, sont curieux à visiter. Je ne dirai rien de la population, de la richesse, de l’histoire, du commerce de New-York ; ces graves sujets ont été traités avant moi avec plus d’autorité que je ne saurais le faire. Dans mon voyage à travers l’Amérique du Nord, la cité impériale n’a été qu’une des nombreuses stations où je me suis arrêté en passant, pressé que j’étais d’arriver au terme encore lointain de ma course. Je n’y ai vu que ce qui s’est offert à mes yeux ; je n’ai pas eu le temps d’aller à la découverte des choses cachées. Selon l’expression d’un des héros de Tourguenef, « j’ai nagé à la surface ; » mais je me rends cette justice que, lorsqu’il m’aurait été facile de faire preuve d’une profondeur factice en puisant l’érudition dans les ouvrages déjà publiés sur les États-Unis, je n’ai parlé que de ce que j’ai vu, et je n’ai rendu compte que d’impressions personnelles. Il n’est point difficile de critiquer l’Amérique où la surabondance de forces et de richesses de toute espèce engendre nécessairement de nombreux et choquans abus. Aucune nation du monde n’offre autant d’armes à ses détracteurs que la grande république. Ainsi que les gens réellement forts, les États-Unis dédaignent de dissimuler leurs faiblesses, et n’hésitent point à laisser voir les défauts de leur cuirasse. Cependant un pays où les femmes sont charmantes, où les hommes sont énergiques et intelligens, où la liberté, au lieu de briller stérilement dans les discours et les livres, vit d’une existence forte et saine dans les lois et dans les coutumes ; un pays qui attire chez lui les déshérités de l’Europe et qui les enrichit, où l’étranger est accueilli avec la plus large hospitalité ; un tel pays ne manquera jamais de défenseurs à opposer à ses adversaires. — Je m’embarquai pour l’Europe le 5 juin 1869, non sans regret de quitter cette Amérique où quelques mois de séjour n’avaient été qu’une succession incessante d’émotions grandes et fortes.


RODOLPHE LINDAU.