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que la journée s’était avancée et qu’ils se familiarisaient davantage avec nous, ils étaient devenus de plus en plus tapageurs et désagréables. Un des employés de la ligne nous informa que la voie n’était pas libre, et que nous serions retenus à Echo pendant au moins une heure. Nous profitâmes de cet arrêt forcé pour descendre au bord de la rivière et y faire, en même temps que nos ablutions, un semblant de toilette ; puis nous remontâmes dans les wagons, désertés par les ouvriers, qui s’étaient précipités dans les auberges d’Echo, et, grâce aux provisions emportées de San-Francisco, nous pûmes faire un repas assez satisfaisant.

Il faisait nuit lorsque nous reprîmes notre route vers Wasatch. Une nombreuse masse d’ouvriers qui avait attendu le train à Echo avait envahi les voitures. Dans l’impossibilité de trouver place à l’intérieur, beaucoup des derniers arrivans s’installèrent en dehors, sur la toiture même des wagons. La nuit était fraîche, et les gens forcés de voyager en plein air cherchèrent dans le whiskey un supplément de chaleur. On les entendit chanter, rire, se quereller, marcher, courir ; je suis encore étonné qu’ils n’aient pas été victimes de leur imprudence, et que tous ces turbulens passagers soient arrivés sans encombre à Wasatch.

Depuis Ogden, on avait ajouté à notre train un wagon de luxe contenant des lits. Nous avions retenu des places dans cette voiture ; mais les dames californiennes en compagnie desquelles nous nous trouvions depuis Sacramento, inquiétées par le vacarme des ouvriers de l’Union, ne voulurent point se séparer les unes des autres, et il fut décidé que nous passerions la nuit dans le compartiment ordinaire, où nous pouvions rester tous ensemble. Le chemin entre Echo et Wasatch était en mauvais état ; nous continuâmes toutefois d’avancer tant bien que mal. Vers dix heures du soir, la marche du train devint de plus en plus irrégulière : nous allions tantôt vite, tantôt lentement, la locomotive sifflait à chaque instant ; les conducteurs et serre-freins ne cessaient de traverser les wagons pour donner et exécuter des ordres. Soudain le convoi s’arrêta. Je mis la tête à la portière ; il faisait nuit noire, et je ne vis rien. Je me rendis sur la plate-forme pour puiser un renseignement à ma source ordinaire, auprès du serre-frein. A mes questions, il répondit brièvement et d’un air très affairé que nous étions arrivés au Z de Wasatch. Je ne compris pas ; mais je vis que le moment était mal choisi pour entrer en conversation avec l’employé, et je me tournai vers un ouvrier placé à côté de moi, qui, en homme au courant de ce qu’il dit, me fournit les explications qu’on va lire.

La station de Wasatch est située sur un plateau élevé. La ligne définitive qui doit y conduire n’est pas encore terminée, et ne le sera que dans quelques mois. Pour ne pas interrompre le trajet