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les associations coopératives et nous ont montré les sociétés de crédit ouvrières d’Allemagne étendant chaque jour leur œuvre au grand profit des classes laborieuses. D’autres ont exalté la participation aux bénéfices et ont mis en relief des modèles divers imaginés en Angleterre, en Allemagne, en France, pour transformer les salariés en capitalistes. Quelques-uns, plus modestes dans leurs prétentions, n’ont demandé qu’un plus grand essor de l’instruction publique pour dissiper toutes les inquiétudes.

Nous n’avons pas à examiner en ce moment la valeur pratique de ces divers systèmes ; nous trouverions sans doute qu’on a placé une foi trop grande et trop exclusive en chacun d’eux, que l’on se prépare de prochaines déceptions. Ce qu’il nous suffisait d’établir, c’est que la maladie est plus générale, plus ancienne et plus intense qu’on ne le croit communément. Nous nous défions des panacées dans l’ordre moral comme dans l’ordre physique, mais nous croyons à l’influence du régime et de l’hygiène ; nous croyons à l’action lente de la nature et du temps. Un demi-siècle d’expérience a dû nous apprendre à connaître le tempérament des populations ouvrières ; nous n’ignorons plus leurs besoins, leurs aspirations ni leur caractère ; nous savons combien de préjugés et de rancunes s’allient chez elles à des sentimens généreux et à de naïves illusions ; nous avons fait des tentatives isolées pour les élever sur l’échelle du bien-être, de la moralité et de l’intelligence. C’est à généraliser et à compléter cette œuvre que doivent s’appliquer tous nos soins. Il ne faut pas croire à une solution unique, exclusive, de ce que l’on appelle la question ouvrière, on ne prévient pas, on n’arrête pas une crise organique par une formule ou par un mécanisme ; mais l’on peut perfectionner les méthodes d’instruction et les combinaisons de l’épargne. Il est permis d’ailleurs de compter sur le bon sens des classes laborieuses, sur le concours des forces vives de la société. Chaque jour, la production devient plus considérable et plus facile, la richesse s’accroît, la quote-part de chacun devient plus grande ; ce sont des causes naturelles d’apaisement. Sans doute l’avenir nous réserve des secousses plus ou moins graves : il est bon de les attendre pour les subir sans découragement ni faiblesse. Quels qu’aient été les obstacles semés sur sa route, l’humanité n’a jamais cessé d’avancer dans la voie du progrès, et parfois les efforts qu’elle a été contrainte de faire pour triompher de crises transitoires lui ont valu ses plus importantes conquêtes.


PAUL LEROY-BEAUUEU.