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souliers au-dessous d’un prix convenu. Les grèves alors envahissent tous les métiers, imprimeurs, charpentiers, papetiers, etc. Une proclamation de la municipalité parisienne est obligée de déclarer « nuls, inconstitutionnels et non obligatoires, les arrêtés pris par les ouvriers de différentes professions pour s’interdire respectivement, et pour interdire à tous autres ouvriers, le droit de travailler à d’autres prix que ceux desdits arrêtés. » Les ouvriers papetiers profitent de l’activité des fabriques pour émettre des prétentions exorbitantes : ils frappent d’interdiction certains ateliers, ou exigent des maîtres de fortes sommes pour les relever de l’interdit ; ils excluent ceux de leurs compagnons dont ils sont mécontens, ou leur font payer des amendes.

L’on voit que notre temps n’a pas le mérite d’avoir inventé les grèves : c’est à peine si l’on peut dire qu’il les a perfectionnées ; il les a rendues seulement plus fréquentes, plus générales et plus préjudiciables aux intérêts de tous. Ces guerres industrielles ont existé alors même que la loi les défendait, et elles ont toujours présenté les caractères principaux qu’elles offrent encore actuellement. L’étude des coalitions du règne de Louis-Philippe n’est pas dépourvue d’enseignement à ce point de vue. Déjà sous la restauration les tribunaux jugeaient tous les ans un ou plusieurs procès de coalition : c’était peu, dira-t-on. L’une de ces grèves cependant avait eu du retentissement : celle des ouvriers charpentiers en 1822. Ce fut une grève des canuts, en 1831, qui fut l’occasion de cette terrible insurrection de Lyon pendant laquelle les ouvriers régnèrent dix jours en maîtres dans cette grande ville, d’où les troupes avaient été forcées de se retirer momentanément après un échec. Une autre grève des ouvriers en peluche amena les Lyonnais à une nouvelle et sanglante émeute en 1834. Les autres coalitions entraînèrent de moindres troubles politiques, mais elles eurent d’aussi fâcheux résultats économiques. C’est aux charpentiers qu’appartient à cette époque la palme de l’agitation. Ils étaient organisés en confréries puissantes, qui jouaient à peu près le même rôle que jouent aujourd’hui les trade’s unions en Angleterre. En 1832, au moment où le travail, interrompu par la révolution, reprenait de l’activité, les ouvriers charpentiers mirent en interdit pour cinq ans les ateliers d’un entrepreneur contre lequel ils prétendaient avoir des griefs. Neuf mois après, le même corps d’état formait une coalition générale. En 1841 et 1842, nouvelle agitation chez les travailleurs de la charpente, puis explosion d’une grève immense en 1845 ; elle éclate à la fin de mai, alors que les commandes étaient nombreuses et pressantes ; 7,500 charpentiers, dont le plus grand nombre appartenaient aux confréries du devoir ou de la liberté, y prirent part ; elle dura trois mois. L’on