Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/1020

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui n’expliquent rien, on se heurte contre une impassibilité tranquille sur laquelle viennent s’émousser les résolutions les plus fermes ; pendant ce temps les événemens suivent leur cours, les décisions les plus graves passent à travers toutes les résistances, et on est un peu moins avancé qu’on ne l’était auparavant. Si on avait voulu sérieusement agir à Rome et se dégager de toute solidarité importune ou compromettante, il n’y avait qu’un moyen, c’était de rappeler sans plus de retard notre corps d’occupation et de laisser le gouvernement romain à sa pleine liberté comme aussi à toute sa responsabilité. Dès qu’on ne se décidait pas à en venir là, il n’y avait plus rien à faire. On sait bien que les remontrances diplomatiques, les dépêches, les observations, sont à peu près inutiles. Eût-on envoyé un ambassadeur extraordinaire pour parler au concile, à quoi serait-on arrivé ? Cet ambassadeur, fort extraordinaire en effet, aurait été vraisemblablement assez embarrassé de lui-même et de son rôle dans l’assemblée du Vatican. On s’en est prudemment tenu à l’ambassadeur ordinaire, qui vient de repartir pour Rome avec des instructions nouvelles, après être venu chercher à Paris le dernier mot du gouvernement. Il sera probablement aussi heureux que l’eût été un représentant spécial, c’est-à-dire qu’il n’obtiendra pas davantage.

Au point où en sont les choses, il n’est pas douteux que la cour de Rome ne soit parfaitement décidée à aller jusqu’au bout, à demander la consécration des dogmes auxquels elle tient, qui ont été la vraie raison de la convocation de la grande assemblée de l’église, et l’opposition qui s’élève dans le concile peut retarder, sans les empêcher, les décisions suprêmes. On se défend vainement contre l’inévitable proclamation des doctrines du Syllabus et de l’infaillibilité du pape. Telle qu’elle est cependant, cette opposition intérieure du concile ne laisse pas d’avoir son importance par la fermeté avec laquelle elle dispute le terrain, par l’esprit qu’elle porte dans les discussions théologiques, par les idées qu’elle expose quelquefois au grand scandale des bons pères, qui se croient réunis pour voter selon le cœur du saint-père et non pour tant parler. Ce concile de Rome offre en vérité un étrange spectacle ; il prend en certains jours la physionomie des parlemens les plus agités. Ces sept cents vieillards, fermes soutiens de l’autorité, forment au sein du Vatican une bruyante arcadie qui ressemble presque à celle de notre corps législatif. Récemment encore un évêque de la Croatie, M. Strossmayer, homme d’énergie et d’intelligence, éloquent même en parlant latin, a eu le malheur de vouloir soutenir que toutes erreurs modernes ne dérivaient pas nécessairement du protestantisme et d’invoquer l’autorité de quelques-uns des protestans célèbres de tous les temps, Leibniz, M. Guizot. Il n’en a pas fallu davantage pour provoquer une véritable explosion de murmures et d’interpellations. On a crié à l’hérétique, on a demandé à l’audacieux prélat s’il n’avait pas honte de parler ainsi auprès du tombeau des apôtres. L’orage s’est renouvelé avec plus de violence encore