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il n’avait plus aucune raison d’accepter devant le pays, devant les chambres, la solidarité d’une politique qu’il cessait d’approuver. Il n’en était pas tout à fait de même de M. le comte Daru, qui tout d’abord ne partageait pas les scrupules de M. Buffet, qui a même été, dit-on, l’un des promoteurs ou l’un des défenseurs du plébiscite. L’honorable ministre des affaires étrangères avait été plus sensible à cette hardiesse confiante d’un appel au pays ; il n’y voyait pas les dangers que d’autres y découvraient ; mais, lui aussi, il s’est arrêté à un certain moment. Sans parler des liens qui l’attachaient au ministre des finances, avec qui il est entré au pouvoir, il a pu essayer de limiter le système plébiscitaire pour l’avenir, de faire la part de la délibération parlementaire, et, n’ayant pas réussi, il paraît décidément se retirer ; d’un pas un peu plus tardif, un peu plus hésitant, il suit M. Buffet.

Première crise pour le cabinet du 2 janvier. Qu’en résultera-t-il ? Ce n’est pas encore aujourd’hui que le véritable sens de cette scission ou de cette évolution ministérielle peut apparaître d’une façon distincte. Pour le moment, le premier danger est écarté par le seul fait que le ministère reste ce qu’il était, sauf les deux hommes distingués qui s’en détachent, et pour quelques jours il y a une route toute tracée. Le sénatus-consulte va être discuté au Luxembourg ; au bout de cette discussion est le plébiscite. Le corps législatif, de son côté, se met aujourd’hui en vacances pour quelques semaines, et cette prorogation, on ne le cache pas, a pour principal objet de permettre aux députés d’aller se mêler à l’agitation du pays. Tout va donc se concentrer dans le prochain vote populaire. | our lequel le gouvernement a demandé à tous ses agens « une activité dévorante. » Jusque-là, la politique n’a plus qu’un seul but, une seule préoccupation, le vote du 1er mai ou du 8 mai, puisque la date est encore incertaine ; mais c’est le lendemain que les difficultés renaîtront, que la situation parlementaire du cabinet devra se dessiner, et que les conséquences de la retraite de deux membres du ministère se feront inévitablement sentir. Nous ne recherchons même point si M. Buffet et M. le comte Daru sont des ministres faciles ou difficiles à remplacer. La question n’est pas là, elle est dans le déplacement d’influences et d’opinions qui peut en résulter, dans ce premier ébranlement d’un pouvoir qui s’était proposé la réforme politique de la France. MM. Daru et Buffet étaient des ministres médiocres ou supérieurs ; mais leur présence au pouvoir servait à caractériser le cabinet du 2 janvier, elle était le signe parlant de l’alliance des diverses fractions du libéralisme modéré de la chambre. Les deux ministres étaient mieux encore, ils représentaient dans le ministère un certain élément de consistance et de solidité, certaines traditions. Aujourd’hui, par la force même des choses, cette situation se trouve nécessairement altérée, et on ne le voudrait de part ni d’autre qu’il en serait encore ainsi. M. Émile Ollivier est toujours là, il est vrai, prêt à tenir tête aux orages parlemen-