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demment ce coup de théâtre du plébiscite, cette proposition extrême et imprévue de soumettre la réforme constitutionnelle à la ratification du suffrage universel sous une forme et dans des conditions qu’on ne connaît même pas encore.

Et d’abord il y a une première question qu’il eût été assez intéressant d’éclaircir, qu’on eût pu serrer de plus près dans la dernière interpellation du corps législatif au sujet de la crise ministérielle. D’où est venue cette pensée ? À quel moment précis et sous quelle impression s’est-elle produite ? La génération de l’idée du plébiscite, c’est ce qu’il faudrait connaître pour en saisir le caractère ou l’opportunité. Un appel au peuple est sans doute toujours un acte qui a une apparence de hardiesse et de grandeur ; ce n’est pas cependant un motif pour invoquer ce suprême arbitrage populaire sans une évidente nécessité. Or, s’il y a une chose claire aujourd’hui, c’est que la nécessité d’un plébiscite n’était rien moins que démontrée, puisque personne n’y avait pensé sérieusement jusqu’ici. On n’y a pas pensé lorsque, durant les dernières années, on a fait des réformes qui n’étaient point assurément dans l’esprit de la constitution de 1852. On n’y a pas pensé après les élections de 1869, lorsque l’empereur répondait au projet d’interpellation des 116 par son message du 12 juillet ; on n’y a pas songé davantage à l’occasion du sénatus-consulte du 8 septembre. On n’y pensait même pas encore lorsqu’on a présenté, il y a quinze jours, le dernier sénatus-consulte, puisque, selon l’aveu de M. le garde des sceaux, on s’était ingénié à combiner les articles de la constitution nouvelle de façon à ne pas heurter trop directement le plébiscite qui a fondé le régime actuel. Quelle que soit la force qu’on puisse attendre d’une grande consultation populaire, le système qu’on a suivi était effectivement des plus simples. On n’a pas pensé du premier coup à recourir au peuple, parce que le peuple venait de se prononcer par les élections. En remettant la liberté dans les institutions, on croyait justement se conformer au vœu national, à la volonté nationale. Invoquer aujourd’hui la nécessité d’un plébiscite, c’est avouer indirectement que ce qu’on a fait depuis six mois, on n’avait pas le droit de le faire, que le sentiment du pays en est encore à se manifester. C’est toujours le même procédé plein de mystère et de danger qui consiste à remettre en question, ne fût-ce que pour la forme, ne fût-ce que pour un instant, ce qu’on croyait acquis et irrévocable. — Vous voulez consulter le peuple et lui demander si décidément il préfère la constitution libérale de 1870 à la constitution autoritaire de 1852 ! — Mais alors que signifie tout ce qu’ont fait les pouvoirs réguliers depuis un an ? Où est le titre moral d’existence du ministère du 2 janvier ? Tout ce qui existe jusqu’ici n’est donc encore que provisoire, et la liberté n’est qu’un candidat, selon l’expression plus brillante que juste de M. le garde des sceaux ? A la rigueur, on aurait compris un plébiscite au mois de juillet 1869, lorsque rien n’était fait, lorsqu’on allait entrer dans une voie nouvelle.