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lorsqu’elle a réalisé les deux ou trois grandes réformes par lesquelles elle s’est rajeunie depuis quarante ans ? L’Italie elle-même, la dernière venue dans la voie parlementaire, — l’Italie a une constitution dont un des premiers articles porte encore que la religion catholique est la religion de l’état ; cela ne l’a pas empêchée de proclamer ou à peu près la séparation de l’état et de l’église, sans songer à refaire son statut. Que la logique absolue ne trouve pas toujours son compte dans cette manière de procéder, c’est bien possible. Est-ce une meilleure politique de vouloir tout faire à la fois et de se jeter à corps perdu dans ces expériences agitées où, sous prétexte de l’absolu et des principes, on remet tout en question deux ou trois fois par mois, au risque d’avoir une crise par semaine ? » Celui qui parlait ainsi pouvait bien avoir quelque raison ; il racontait dans tous les cas notre histoire de ces derniers jours telle que l’ont faite des incidens assez imprévus, quoique peut-être inévitables.

Non, en vérité, les choses ne peuvent jamais marcher en France comme elles marchent partout. Elles procèdent de cette manière d’entendre la politique qu’on nous reproche, et qui nous conduit parfois à de si étranges aventures. La passion de la logique et du drame nous entraîne. Quand il y a quelque difficulté secrète, on peut être sûr que de tous les côtés, du côté du gouvernement aussi bien que du côté de l’opposition, on ne négligera rien pour en provoquer l’explosion, ou du moins on ne fera rien pour l’éviter, et quand il y a quelque apparence d’éclaircie dans nos affaires, on peut dire d’avance que ce ne sera pas pour longtemps. Pendant quelques semaines, tout avait repris un certain air de confiance et de sécurité. Le ministère du 2 janvier semblait plus que jamais à l’abri de toute menace, il avait cela pour lui que le sentiment public le reconnaissait comme seul possible. La lettre par laquelle l’empereur avait demandé à M. le garde des sceaux de préparer avec ses collègues un sénatus-consulte définitif paraissait fixer le dernier terme de la révolution constitutionnelle qui s’accomplit, et ce sénatus-consulte lui-même, sans être parfait, pouvait après tout être considéré comme une réalisation suffisante des conditions essentielles d’un régime de liberté parlementaire. On croyait, en un mot, toucher à la terre ferme et dépasser le dernier cap des tempêtes, au-delà duquel on pourrait enfin s’occuper librement et utilement des affaires du pays. Point du tout ; en peu de jours, en peu d’heures, la face des choses change subitement. Au moment où l’on y pensait le moins, la proposition d’un plébiscite éclate comme une bombe fulminante, et met le désarroi dans tous les rangs. Le ministère s’ébranle et se disloque à moitié ; les animosités se réveillent ; le corpS législatif ne sait plus où il en est ; le sénat présente son œuvre de réforme constitutionnelle dans une atmosphère chargée d’orages. La politique reprend son caractère laborieux et obscur, les esprits se rejettent dans la défiance et le trouble ; a les beaux jours d’Aranjuez tirent à leur fin. » Voilà le résultat ; la cause, c’est évi-