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saire des scènes que représente le Pinturicchio, pourront paraître un peu nus; mais de quels élémens, je vous prie, se compose le paysage ordinaire de l’Italie? L’air, le vaste espace, de doux contours de collines, de molles ondulations de terrains, des arbres rares et magnifiques, voilà le paysage habituel de l’Italie, et c’est celui-là que le Pinturicchio reproduit en maître. Que ses horizons sont étendus! que ses lointains ont de profondeur! Ils sont gens de goût difficile ceux qui refuseront d’avouer que le paysage de la fresque de Santa-Croce, où le Pinturicchio a peint, réunies en une seule, diverses scènes ayant rapport à la découverte de la croix, compose un superbe encadrement. De goût plus difficile encore sont ceux qui n’admireront pas la liberté avec laquelle joue l’air dans cette fresque d’Ara Cœli, où le peintre a représenté le corps de saint Bernardin porté au milieu d’une foule immense sur une place publique de Sienne. Il y a dans cette fresque, la plus remarquable, à mon gré, des œuvres du peintre à Rome, une étonnante profondeur de perspective; rarement artiste en tout cas nous a donné à ce point le sentiment de l’espace, de l’impalpable vide. Et le paysage du Martyre de saint Sébastien dans l’appartement Borgia, est-ce qu’il n’est pas profondément romain dans son austère nudité, ne vous semble-t-il pas par son aridité morose un coin de la plaine si triste et si grandiose de la Via Appia? Cette plaine, merveilleux emplacement pour l’exercice du tir à la cible, est bien en rapport aussi avec la nature du supplice, et cette solitude fait mieux ressortir la férocité des bourreaux que ne le ferait tout autre paysage. Là, les archers peuvent prendre le martyr pour point de mire de leur adresse sans avoir à craindre qu’aucun pli de terrain, aucun arbre feuillu, aucun détail naturel vienne détourner ou arrêter leurs flèches. Cette harmonie entre la scène et le paysage qui lui sert de cadre arrête encore l’attention dans la lunette du même appartement Borgia où est représentée l’ascension de Jésus; c’est au milieu d’une campagne d’une douceur heureuse que Jésus se sépare de ses disciples, qui le suivent de leurs regards attendris, montant au milieu des fraîches teintes d’une aube italienne. Cependant, pour le Pinturicchio comme pour tous les grands peintres italiens de la belle époque, il ne faut pas oublier que le paysage n’est qu’un accessoire, qu’un encadrement sans sérieuse importance; nous sommes bien loin encore des jours où Annibal Carrache, voulant représenter les principaux épisodes de la vie de la Vierge, créera les admirables compositions qui se voient au palais Doria, mais qui ont le tort considérable de renverser les rôles et de faire de la scène un accessoire du paysage.

Encore une remarque. Les fresques de l’appartement Borgia sont