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achevées, et les mains de l’enfant notamment sont mal dessinées et d’un volume presque monstrueux.

La fresque de Saint-Onuphre est donc curieuse plutôt que très belle; son grand intérêt est de nous montrer un Léonard accidentel que l’on ne rencontre dans aucune autre œuvre. Du reste, il faut l’avouer, Rome ajoute peu de chose au sentiment qu’un Parisien lettré peut avoir aisément de Léonard. Parmi les grands Italiens, il en est un au moins que nous sommes à même de mieux juger que ses compatriotes eux-mêmes, les Milanais exceptés. Avec la Vierge au Rocher, la Sainte Anne, la Joconde, le Saint Jean-Baptiste, il nous est facile de nous former une opinion complète, définitive, certains, sur Léonard, ce que nous ne pourrions dire de tout autre artiste italien. Voir Léonard à Paris, c’est un peu, toutes différences gardées, comme voir Rubens à Anvers; car les œuvres trop rares encore que nous possédons de cet artiste unique sont celles où son génie se révèle dans toute son intimité et toute sa profondeur. A Rome au contraire, on peut dire que Léonard est inconnu. Cette ville ne possède, à ma connaissance, que trois œuvres de l’illustre maître : la fresque de Saint-Onuphre, la Vanité et la Modestie du palais Sciarra, le portrait de Jeanne de Naples de la galerie Doria. Or nous avons vu ce qu’il faut penser de la fresque de Saint-Onuphre; quant aux deux autres œuvres, l’une, le portrait de Jeanne de Naples, est simplement attribuée à Léonard; l’autre, la toile du palais Sciarra, est, selon certains connaisseurs, un ouvrage de Luini, et, il faut le dire, la figure de la Vanité donne à cette supposition une certaine vraisemblance. Qu’il soit de Luini ou de Léonard, ce n’en est pas moins un charmant ouvrage. Il faudrait seulement le débaptiser, je crois, et l’appeler l’esprit religieux et l’esprit mondain. Dans un cadre de petite dimension, deux figures forment antithèse. L’une est vêtue avec recherche, ses yeux affectent l’étonnement de la naïveté, un sourire enivré entrouvre ses lèvres, elle minaude, peut-on dire, jusqu’aux oreilles, tant sa bouche est prolongée par le rictus de la coquetterie; c’est la Vanité, ou pour mieux dire la Fausseté, car tout est faux dans cette figure : la corruption se cache sous ce regard étonné; cette coquetterie ne recouvre que sécheresse, ce sourire énorme ressemble vaguement à la grimace d’une tête de mort. Toute cette personne sonne creux et fait songer aux sépulcres blanchis de l’Écriture. Elle écoute avec un étonnement joué, mêlé d’ironie feinte, les discours de la Modestie, adorable figure, coiffée d’une sorte de mezzaro épais ou de voile grossier de religieuse, au regard chaste, au sourire fin et sage. Ce qui nous porte à croire que l’œuvre est bien de Léonard, c’est que cette figure de la Modestie exprime à merveille le caractère moral qui semble avoir été pour l’auteur de