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dence ; mais il préparait sans s’en douter à son fils des tentations qui doivent être maintenant comptées parmi les causes de la ruine de ce dernier.

Ce fils, le maréchal don Francisco Solano Lopez II, est né en 1827. S’il faut en juger par ses portraits, c’est un homme de bonne mine, aux traits réguliers, à la physionomie intelligente, quoique peu ouverte ; ses yeux noirs à certains momens de passion brillent d’un très vif éclat, mais son regard à l’état ordinaire paraît être embarrassé dans une sorte de voile qui n’encourage guère la confiance. Ses manières sont élégantes et dignes, elles font deviner l’homme qui n’a jamais connu les petites misères de la vie, et qui depuis sa première jeunesse a été habitué à l’exercice du commandement. Il sait être, quand il le veut, persuasif, insinuant ; mais le plus souvent il est froid, réservé, impénétrable. Quoique ses passions soient des plus violentes, il sait les concentrer et les cacher au fond de son cœur, comme il convient à un hidalgo, à un chef de sangre azul.

L’éducation du maréchal Lopez, si nous attachons au mot éducation le sens qu’on lui donne ordinairement en Europe, a été très imparfaite ; les circonstances locales et la faiblesse paternelle n’ont pas permis qu’il en fût autrement. On ne doit pas oublier en effet que son enfance s’est écoulée sous le règne du docteur Francia, à une époque où toute lumière était systématiquement éteinte au Paraguay, et qu’à peine âgé de dix-huit ans il fut associé à la toute-puissance paternelle et nommé ministre de la guerre.

Depuis dix ans, le brigadier-général don F. S. Lopez (ce n’est que plus tard qu’il a pris le titre de maréchal) était revêtu de ces fonctions lorsque son père se résolut à l’envoyer passer dix-huit mois en Europe avec la mission de faire ratifier les traités que la république du Paraguay venait de conclure avec l’Italie, la France et l’Angleterre pour établir la liberté de navigation des grands fleuves de l’Amérique au profit de tous les pavillons. Le jeune Lopez avait alors vingt-huit ans, ses habitudes d’esprit étaient prises, son caractère était presque formé, et l’on peut se demander si ce voyage, qui, dix ans plus tôt et accompli dans d’autres conditions, aurait pu lui être si profitable, n’a pas été plutôt pour lui une chose fâcheuse. On était alors en 1855, c’est-à-dire au plus fort de la guerre de Crimée, et l’Europe tout entière retentissait du bruit des armes. C’est par ce côté que le spectacle de notre civilisation paraît avoir surtout agi sur l’âme du jeune voyageur, car il semble qu’avec les plaisirs les questions militaires aient été les seuls objets de ses préoccupations pendant le temps de son séjour parmi nous. Encore est-il plus juste de dire qu’il se laissa séduire par les apparences extérieures d’un art qu’il ne sut pas approfondir. Accueilli par la