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paix, et qui envisage l’avenir avec sécurité. Il faut que la terre devienne la caisse d’épargne du paysan ; nul autre moyen de réconcilier le peuple irlandais avec l’ordre, et de rappeler en Irlande le capital, dont les canaux, depuis longtemps à sec, doivent être remplis pour alimenter le travail, pour féconder la terre, vouée dans ce malheureux pays à un perpétuel sabbat. Seulement, tant que la propriété sera immobilisée par le système des substitutions, le sol aggloméré dans un petit nombre de mains par la loi de primogéniture, tant que, pour garder dans sa dépendance le fermier électeur et rester maître des suffrages, le propriétaire lui refusera la garantie d’un bail et se réservera le moyen de l’évincer au gré de son caprice, tant que la vente de la terre sera entourée de difficultés par la confusion, l’obscurité et l’incertitude des titres de propriété, on ne fera pas naître en Irlande cette union, et, comme dit M. Michelet, cet amour de l’homme et de la terre qui est la condition de la paix. C’est à la fois sur la culture, sur la tenure, sur la transmission et sur la répartition de la terre que doivent porter les réformes. Elles sont, comme on voit, immenses ; on peut y procéder avec lenteur, on le doit peut-être ; mais, jusqu’à ce qu’elles soient réalisées, le mal dont l’Irlande est atteinte, et dont l’Angleterre ne peut se croire innocente, défiera tous les palliatifs, et l’Irlande restera ce qu’on l’a vue jusqu’à cette heure, oisive, malheureuse et criminelle.

Ces réformes ont la portée d’une révolution sociale. Elles sont prescrites par l’intérêt, avouées par la justice, elles peuvent s’accomplir d’une manière légale, pacifique et progressive, comme l’exige le génie anglais ; mais, il n’y a pas à s’y méprendre, elles sont une révolution. L’aristocratie propriétaire se décidera-t-elle à la subir ? On se rappelle ce que les honnêtes gens qui voulaient à tout prix sauver l’église établie d’Irlande ont imaginé de recettes ingénieuses pour remplacer la suppression. Des procédés de même valeur sont inventés tous les jours pour résoudre la question territoriale. M. Bright répond à ces inventeurs en racontant l’histoire d’un charlatan, — ce n’était pas un ministre, — qui fit fortune dans les foires au temps d’Addison en vendant des pilules contre les tremblemens de terre. D’autres ont proposé des remèdes efficaces, mais violens, et M. Mill en a suggéré un qui, de sa part, a étonné à plus d’un titre. Il ne s’agirait de rien moins que d’une vaste expropriation, avec indemnité bien entendu, pour cause d’utilité publique. M. Mill donne lui-même ce procédé pour héroïque, mais il croit qu’il y a des temps où les principes de l’économie politique peuvent souffrir une violation passagère. M. Bright repousse un tel plan, mais il a le sien. S’il est opposé en principe à toute intervention de l’état et s’il croit