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se prêter aux fantaisies et aux ambitions déréglées d’une certaine classe, et les intelligences, éclairées par cette lumière du droit, reviendraient d’elles-mêmes au sentiment de l’équité. Les lois en vigueur n’ont pas même pour elles l’illusion de la justice. Elles sont un débris du passé engagé dans l’édifice de la société nouvelle, le reste d’un système inventé pour maintenir la puissance sociale et, par elle, l’ascendant politique entre les mains d’un petit nombre, un moyen d’éterniser ainsi la dépendance du cultivateur et, par une suite de contre-coups faciles à comprendre, la plupart des maux qui pèsent sur la société anglaise. « Prenez garde, disait-il en 1864 », un accident politique peut survenir : ces accidens sont aussi peu prévus que les autres. Vous n’entendez pas l’approche du tremblement de terre qui renverse les monumens les plus solides, et vous ne voyez pas, — les possesseurs du sol ne voient pas, — l’approche du danger, de la catastrophe peut-être, qu’appelle inévitablement le maintien obstiné d’une législation injuste. Un temps peut venir, et j’ose affirmer qu’il viendra, où il se produira dans ce pays un mouvement pour y réaliser non pas le plan que je recommande, parce que je le crois juste, modéré, suffisant, mais un plan d’accord avec les dispositions du code Napoléon en France et avec des idées qui s’étendent à vue d’œil sur l’Europe entière. » Ces paroles sont curieuses à noter ; elles nous donnent la mesure des ambitions que nourrit M. Bright. Le code Napoléon, voilà le châtiment dont il menace l’obstination des conservateurs qui ferment l’oreille à ses avertissemens ! Nous savons par expérience que l’on peut s’accommoder d’un tel régime.

M. Bright est aujourd’hui ministre, mais les classes conservatrices ne sont pas pour cela familiarisées avec des idées qu’il n’abandonne certainement pas. Elles envisagent avec défiance les réformes qu’il demande, et peut-être n’ont-elles pas tort d’y voir une révolution. Ce qui est sûr, c’est que cette transformation de la propriété n’atteindrait pas seulement l’aristocratie, elle atteindrait du même coup l’église établie. L’aristocratie et l’église sont en Angleterre deux sœurs de figure différente, facies non omnibus una, mais nécessaires l’une à l’autre. L’aristocratie est le rempart de l’église. L’église façonne les esprits au régime aristocratique ; elle pénètre de son génie, par la religion qu’elle explique, par la morale qu’elle prêche, par l’enseignement, qu’elle domine, les classes appelées à gouverner. On devine ce qu’un homme comme M. Bright, un dissident, un quaker, pense de cette institution. Cependant il a toujours abordé la question avec des ménagemens particuliers, et cette réserve n’est pas timidité, elle est une preuve de tact. « J’ai souvent souhaité, disait-il en I864 à propos de la taxe d’église, pouvoir m’adresser à cette chambre, ne fût-ce que pour une demi-heure, en