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ORATEURS DE L’ANGLETERRE.

la plupart des discours prononcés par lui en faveur de la réforme. Je ne prétends pourtant pas qu’il se soit toujours abstenu de prendre un ton agressif, et que ses adversaires dans cette longue campagne n’aient jamais eu à souffrir entre ses mains. Il faut convenir aussi qu’ils se sont montrés souvent bien injustes et bien provoquans, et qu’ils l’ont forcé quelquefois par la nature de leurs raisonnemens à des récriminations cruelles. Le grand argument des partis opposés à la réforme était qu’après tout les assemblées issues du système établi, qu’on dénonçait comme la citadelle du privilège, avaient accompli toutes les réformes auxquelles l’Angleterre doit sa liberté et ses progrès. M. Bright ne le nie pas, mais il se demande ce qu’il faut admirer le plus, ou que le parlement ait accompli ces réformes, ou qu’il ait fallu pour les lui arracher tant d’efforts et de temps. De quoi faut-il, par exemple, s’étonner le plus, que les lois sur les céréales aient à la fin succombé, ou bien qu’une législation si odieuse ait pu s’établir, — affamer plusieurs générations, résister pendant trente ans à l’évidence du droit, aux progrès de la misère, aux assauts multipliés du bon sens, et qu’une telle trahison des intérêts de la nation presque tout entière, consommée dans un intérêt de classe, ait été ratifiée par tant de législatures successives, qu’enfin pour en avoir raison, c’est-à-dire pour que le peuple eût le droit de payer son pain ce qu’il vaut et pas davantage, il ait fallu presque une série de miracles, la menace d’un cataclysme, une famine épouvantable en Irlande, la conversion imprévue d’un ministre de l’aristocratie, la dislocation d’un parti puissant ? Qu’on ne se fasse donc pas illusion. Ce n’est pas à l’esprit de justice et aux lumières des pouvoirs publics que cette réforme a été due, non plus que chacune de celles qui l’ont précédée ou suivie ; c’est au contraire malgré les résistances des pouvoirs constitués pour être les gardiens des intérêts de la nation et l’interprète de ses besoins que la plupart de ces réformes se sont accomplies. L’honneur en revient à l’initiative nationale ; c’est l’opinion, instruite et soulevée par quelques hommes courageux, qui a prévalu à la longue sur l’inertie des législateurs, et voilà pourquoi, tandis que le peuple est réduit à exprimer ses vœux et à défendre son droit par des manifestations, quelquefois menaçantes parce qu’elles sont désordonnées, M. Bright réclamait pour lui le droit électoral. Il le réclamait non pas au péril de la constitution, mais au nom de cette constitution mêlée à toute l’histoire d’Angleterre et passée dans le génie anglais, bien qu’il ne soit pas facile d’en citer les articles, qui assure à chacun d’inviolables garanties. La première de ces garanties est, à ses yeux, l’exercice des droits politiques.

On conçoit qu’en rappelant les iniquités commises ou défendues