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Il est incontestable qu’en ce sens le bill de 1867 est en grande partie son œuvre. Nul n’a travaillé avec plus de suite et de succès à éclaircir les difficultés, à vaincre les résistances, à populariser la solution. Quand je lis ces harangues prononcées dans de grands meetings populaires, à Birmingham, à Manchester, à Glasgow, à Londres, devant des foules faciles à enflammer, qui tentent si puissamment l’orateur par leurs applaudissemens, je m’étonne d’y trouver une allure si grave et un caractère si didactique. Ces discours sont-ils d’un agitateur ou d’un instituteur politique ? Je reconnais bien à certains momens l’accent passionné du tribun, par exemple dans les discours prononcés en 1866, après le rejet du bill de réforme proposé par lord John Russell. C’est qu’à ce moment la cause de la réforme est gagnée dans les esprits, la nécessité en est reconnue, les principes en sont étudiés à fond, les conditions élucidées et généralement admises. De quoi s’agit-il à cette heure ? De vaincre la résistance d’une classe accoutumée à fatiguer par sa force d’inertie les prétentions les plus fondées, et à ne céder qu’à une volonté aussi obstinée que la sienne ; mais avant ce dernier effort, qui doit être à la fois décisif et sans péril, car il vise un but nettement déterminé, il a fallu faire comprendre au peuple les difficultés et les moyens, l’éclairer sur son intérêt, lui donner la conscience de sa volonté et le sentiment de son droit. Or nulle part les questions que la réforme soulevait, questions si complexes, hérissées de tant de détails, ne sont mieux démêlées, exposées avec plus de lucidité que dans les discours de M. Bright. On ne croirait jamais que ces discussions appuyées sur tant de chiffres, de détails minutieux, d’analyses approfondies, ont eu lieu non pas dans une assemblée de politiques de profession, mais devant d’immenses auditoires presque entièrement composés d’hommes qui n’étaient pas même électeurs. Au reste, ces improvisations étaient profondément méditées, — et M. Bright s’en vante avec raison. Trouvant partout ses adversaires aux aguets pour découvrir dans ses paroles des contradictions, des inexactitudes ou des exagérations, il disait un jour : « S’imaginent-ils donc par hasard, ces hommes, que j’aie l’effronterie de me présenter devant plusieurs milliers de mes concitoyens, sachant depuis plusieurs semaines que je dois être appelé à cet honneur, pour m’y abandonner simplement aux inspirations de l’humeur et à la passion du moment ? Ils ne savent guère, s’ils peuvent supposer qu’il en soit ainsi, quel sentiment de responsabilité pèse, selon moi, sur quiconque se charge en pareille circonstance d’interpréter les opinions ou de guider les délibérations de ses concitoyens. »

J’ai dit que, malgré la réputation d’orateur impétueux faite à M. Bright, la modération était ce qui frappe au premier abord dans