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ORATEURS DE L’ANGLETERRE.

pendance. Tant que M. Cobden a vécu, John Bright s’est contenté, malgré l’incontestable supériorité de son talent, de figurer en second parmi les représentans de ce qu’on est convenu d’appeler l’école de Manchester.

Cette dénomination est celle d’un groupe qui est bien près aujourd’hui d’appartenir à l’histoire. Qu’était-ce que l’école de Manchester ? Un rejeton légitime, quoique indépendant à plusieurs égards, du parti radical né en Angleterre sous l’influence de la révolution française. Comme le parti radical, elle rompait en visière à des préjugés puissans, elle entendait modifier au profit des classes laborieuses les fondemens aristocratiques de la société anglaise, elle voulait subordonner aux droits et aux intérêts du travail les traditions d’une politique de classe ; mais tandis que les radicaux s’attachaient avec raideur à quelques principes négatifs ou se complaisaient dans des affirmations absolues, s’interdisant les transactions nécessaires et se réduisant ainsi à l’état de non-valeur politique, l’école de Manchester, qui invoquait aussi volontiers la morale, prenait son point d’appui dans les faits ; elle ne craignait pas de paraître trop terre à terre, elle tenait grand compte des habitudes, des répugnances et des instincts de la société anglaise, elle se montrait facile aux compromis. Cependant ses principes rencontraient une égale opposition chez les tories et chez les whigs ; ceux qui les professaient, ne pouvant entrer dans le cadre des anciens partis, avaient dû en constituer un nouveau, dans lequel les deux autres trouvaient tour à tour un auxiliaire d’occasion. Ce troisième groupe, leur servant d’appoint nécessaire sans sortir de son apparente faiblesse, les a modifiés peu à peu jusqu’au jour où il s’est absorbé dans le parti libéral. Ce jour est celui où son chef, M. J. Bright, a pu trouver place dans un ministère.

Il n’est pas douteux que la victoire obtenue par la ligue, cette victoire qui est l’orgueil de M. Bright et le plus cher souvenir de sa vie, ait contribué pour beaucoup à la direction qu’il a suivie : on s’engage par les services rendus. Cependant ses idées procèdent, je crois, d’une autre source encore et d’une source plus intime. Cette intrépidité dans la lutte, cette activité que rien n’épuise, ces discours d’un accent si particulier ne décèlent-ils pas quelque chose de plus qu’une conviction purement politique ? M. Bright est quaker, et quelque part il avoue que cette secte ne passe pas pour être en progrès ; mais il ajoute que ses principes gagnent peut-être plus de terrain qu’on ne croit. En effet, le besoin chaque jour plus senti de la paix, l’incompétence de plus en plus reconnue de l’état dans tout ce qui intéresse la conscience religieuse, le respect de la dignité humaine jusque dans les plus déshérités, j’ajoute un certain positi-