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de pénétrer la nature du christianisme propre à Michel-Ange, christianisme profondément théologique et philosophique, qui est à l’extrême antipode de ce christianisme populaire que, l’an passé, nous admirions chez les Flamands et dont Rubens fut la suprême expression. Nous allons décrire tout à l’heure ce christianisme en parlant de la Pietà de Saint-Pierre et du Christ de la Minerve : bornons-nous à le laisser pressentir devant ce Christ du Jugement. Rien de ce qui composa son humanité n’apparaît en lui ; aucune trace de la passion terrestre, aucun souvenir de la croix, de la couronne d’épines, du sceptre dérisoire de roseau : c’est un jeune roi italien qui tient de Tibère à vingt-cinq ans et de Bonaparte à trente ans. En rentrant dans l’éternité, il a laissé derrière lui sur la terre toutes ces pièces et tous ces accessoires du rôle divin dont il fut chargé pour le salut des hommes, et il est redevenu ce qu’il était, le Verbe incréé de Dieu. Pourquoi porterait-il la trace des souffrances qu’il accepta volontairement, ou garderait-il la physionomie de l’être tout miséricordieux qu’il fut, alors qu’il revient précisément pour demander compte à l’humanité des fruits qu’elle a su tirer de son martyre? Il reparaît non plus pour pardonner et se dévouer, mais pour juger, récompenser ou punir. C’est en son nom même qu’il préside les assises suprêmes de l’humanité : le Christ ici est plus que le représentant de Dieu, car depuis sa rédemption il s’est acquis sur la terre un titre de souveraineté absolue; c’est à lui qu’appartient de par le mérite de ses souffrances ce fief de la création, et c’est lui qui ouvre et ferme aux hommes les portes de l’éternité : la volonté de son père céleste elle-même ne pourrait prévaloir contre la sienne, et c’est là ce que sait sa mère, qui regarde le terrible spectacle avec un sentiment d’effroi. Voilà pourquoi il revient menaçant et magnifique, revêtu d’une chair superbe, fort comme l’athlète qui a vaincu la destinée, le temps et la mort, impérieux comme le césar de la cité souveraine, dont toutes les Romes et toutes les Babylones ne sont que les symboles. Comme il est le roi de toute humanité, il réunit en sa personne le faisceau des attributs les plus glorieux de notre race; c’est donc devant leur type immortel que comparaissent les hommes, c’est à ses dimensions qu’ils doivent mesurer leur stature, c’est à ce miroir inexorablement limpide qu’ils doivent demander leur image.

Voilà le Christ du Jugement dernier. C’est le Christ des théologiens et des philosophes, quand théologiens et philosophes ont une âme assez forte pour s’affranchir des sentimens de la charnelle humanité, et pour bannir toutes ces faiblesses qui empêchent de comprendre les idées dans leur inexorable fermeté. La sensibilité, la pitié, la tendresse, n’ont rien à faire ici, pas plus qu’elles n’ont quelque chose à faire dans les lois par lesquelles les astres roulent