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naux, et que les artistes qui les représentèrent furent choisis pour leur habileté, ces sculptures en quelque sorte officielles forment un véritable musée aussi intéressant au point de vue historique que varié au point de vue de l’art. Toutes les grandes familles génoises sont là : les Spinola, les Doria, les Grimaldi, les Durazzo, les Pallavicini ; mais presque tous, hommes et femmes, ont eu le soin de se faire représenter avec un détail fort caractéristique : de leur poche s’échappe une bourse qui ouvre sa bouche et laisse tomber des flots d’écus, ou bien leurs mains tiennent le sac de la précieuse denrée, qu’elles versent largement, mais qu’elles mesurent cependant. On sent que ces bienfaiteurs restent maîtres de leur argent alors même qu’ils le donnent, et qu’ils sauront le reprendre sous une autre forme. C’est la charité la plus impérieuse qui se puisse concevoir. Tous disent d’un sonde voix clair et haut : « Or çà, tout cela est fait con miei damari, et ne pensez pas échapper à la reconnaissance que vous me devez. » C’est avec cette âpre énergie qu’Innocent IV monta sur le trône pontifical. D’un coup net et hardi, avec une force de détermination qu’il ne laissa modérer ni par la prudence, ni par la pitié, ni par la religion des souvenirs, ni par les scrupules naturels à celui qui, ayant part au gouvernement des hommes, connaît la nécessité des divers principes d’autorité qui le partagent, il trancha la question si longtemps suspendue des droits réciproques de l’église et de l’empire. Par lui périt la maison de Souabe, et avec l’extinction de la maison de Souabe le gibelinisme reçut un coup mortel dont il ne se releva jamais plus. Il traînera encore pendant plus de deux siècles une existence nominale ; mais dès le milieu du XIIIe siècle il n’existe plus, et lorsque, cinquante ans plus tard, Dante élèvera son cri immortel et douloureux à trop juste titre, ce cri s’adressera au fantôme d’un passé enfui sans retour. Dès lors, tout espoir d’un gouvernement général fut perdu pour l’Italie : le parti guelfe, si fort en apparence par le nombre et par la turbulence des passions, mais si faible de trempe et de constance, connaîtra un triomphe éphémère dont l’unique résultat sera de couvrir l’Italie de tyrannies locales qui appesantiront leur joug sur des populations incapables de la fermeté et de l’esprit de suite sans lesquels on ne peut jouir du difficile bonheur de la liberté. Dans la vieille et si curieuse basilique de San-Lorenzo-Fuora-Muri, presque entièrement réédifiée sur l’ancien plan par les soins du pape actuel, on voit une peinture qui consacre cette date à jamais mémorable. C’est une fresque du milieu du XIIIe siècle peinte au-dessus du sarcophage antique qui sert de tombeau au cardinal Guillaume Fieschi, neveu d’Innocent. Dans cette fresque, le Sauveur étend sa Bénédiction sur le cardinal et le pape Fieschi, qui lui sont présentés par leurs saints patrons. Le Sauveur en effet a béni Innocent et