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IMPRESSIONS DE VOYAGE
ET D’ART

SOUVENIRS DE ROME.


I. — A CIVITA-VECCHIA.

A quatre heures du matin, le bateau à vapeur le Pausilippe s’arrête dans le port de Cività-Vecchia. On nous appelle afin de procéder à l’interminable et agaçante opération de la reconnaissance des bagages; cette fois j’attends mon tour avec la facile patience d’un homme heureux, car je jouis voluptueusement de la plus délicieuse des surprises. Ces premières heures du matin sont des heures particulièrement froides, surtout par une nuit de novembre; mais ce n’est pas ici que l’aube se lève frissonnante : l’approche du jour nous est annoncée par une brise d’une molle chaleur qui, pénétrant le corps engourdi par le sommeil, détend les nerfs raidis et dilate l’être physique tout entier, comme un bain tiède au réveil. Bien qu’on ait été averti par une série de transitions et que le changement de température, dès qu’on a dépassé Mâcon, soit sensible au point de permettre de voyager fenêtres ouvertes, même par une nuit de la fin d’automne, on peut faire que rien ne prépare à la volupté de ce réveil. Il n’est que quatre heures, et c’est la chaude fraîcheur de la neuvième heure de nos matinées de printemps qui circule autour de nous. Voilà bien l’Aurore que je dois voir figurée dans quelques jours au palais Rospigliosi par le moelleux pinceau de Guido Reni : elle s’est levée du lit du vieux Tithon toute moite de chaleur amoureuse, et promène ses yeux sur une mer si bleue qu’elle ferait croire au bonheur de vivre. Ah! elle fut excusable vraiment l’erreur des anciens peuples polythéistes, car rien n’est plus facile que de