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continue. Chaque nuit, des sentinelles veillent aux portes. Les habitans de cette bicoque fortifiée appartiennent à la race des Lolos, représentée sur les rives du Sonkoï par de nombreuses tribus, sur lesquelles le gouvernement chinois exerce une autorité de moins en moins sensible à mesure qu’on approche du Tongkin. Lorsque l’action du pouvoir impérial, même sur les Chinois, est notablement affaiblie au Yunan, on comprend que le joug devienne encore moins lourd pour des gens d’humeur farouche et d’origine différente, vivant dans des montagnes dont l’accès est difficile et où la surveillance est impossible. Quel que soit le sort réservé dans l’avenir à ces indigènes, on ne saurait nier les avantages qu’ils ont, probablement à leur insu, retirés de la domination chinoise. Un grand nombre ont suivi l’exemple de leurs maîtres, et de chasseurs nomades sont devenus agriculteurs habiles. A Poupyau par exemple, c’est du sol qu’ils tirent leur nourriture. Ils ont détourné un torrent à 4 kilomètres de chez eux, l’ont conduit de cascade en cascade, à travers les montagnes, jusque dans leur village, où l’amène un aqueduc construit avec les premiers matériaux venus, car ils ne s’inquiètent point de l’élégance; mais le hasard a voulu que ces matériaux fussent un marbre magnifique, dont les blocs frustes, polis par l’eau ou par le pied des passans, laissent voir d’admirables couleurs. Le panache des aréquiers et la forte ramure des vieux arbres aux racines dénudées et tordues ombragent la chute d’eau, où viennent puiser les femmes dans des attitudes et un costume qui réveillent les souvenirs bibliques : portant au cou, aux bras et aux oreilles des ornemens d’argent, elles sont vêtues d’une simple robe serrée à la taille, et une large tresse collée sur le front maintient la coiffe où est emprisonnée leur abondante chevelure; leurs belles proportions, leur aspect à la fois noble et sévère, tout les distingue de la grotesque Chinoise, poupée estropiée, sans force, sans fraîcheur et sans grâce.

Nous avons eu quelque peine dans ce village à réunir un nombre suffisant de porteurs de bagages : aussi est-ce avec un étonnement auquel succède bientôt la colère que nous voyons les mandarins qui doivent nous conduire et pourvoir à ces détails emmener une petite caravane de corvéables levés à leur profit et chargés de marchandises fournies gratuitement par le village; d’autres portent leurs palanquins ou bien la selle de leurs chevaux, que ces honnêtes fonctionnaires veulent fatiguer le moins possible. Leur parler d’humanité, ce serait peine perdue; il faut se borner à exiger d’eux qu’ils remplissent leur devoir envers nous, et qu’ils nous donnent l’indispensable avant de songer à leurs intérêts personnels. Nos fripons de mandarins se rendent d’ailleurs à nos impératives observations, et