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Telle était la disposition des deux principaux membres du cabinet quand l’ouverture de la session de 1834 appela leurs délibérations sur une question importante. Le bill de coercition de l’Irlande n’avait été voté que pour une année. Convenait-il de laisser périmer les mesures rigoureuses qu’il contenait, ou bien fallait-il au contraire demander au parlement de leur donner une sanction nouvelle? Après une discussion animée au sein du cabinet, on adopta ce dernier parti, et le ministère déposa sur le bureau de la chambre des lords un projet de loi qui était la continuation pure et simple du bill de coercition. Il n’y eut qu’un cri dans le public contre ces ministres qui se targuaient de leur zèle pour la cause populaire, et qui sollicitaient la prolongation de mesures dignes des plus mauvais jours de lord Castlereagh. Plus qu’aucun de ses collègues, Brougham fut troublé par l’éclat soudain de cette impopularité. Il avait toujours été fort sensible aux attaques de la presse, et en ce moment il était particulièrement affecté par la guerre que le Times, longtemps l’organe de ses admirateurs les plus passionnés, venait d’ouvrir contre lui. Aussi, de sa propre initiative et à l’insu de lord Grey, prit-il sur lui de nouer une négociation avec O’Connell, le célèbre agitateur irlandais. Il lui promit que les clauses les plus rigoureuses du bill, entre autres celles concernant les cours martiales, seraient supprimées, à la condition qu’O’Connell prendrait de son côté l’engagement de ne pas s’opposer au vote des autres dispositions. Le traité conclu, Brougham en donna connaissance à ses collègues dans une réunion du cabinet. Ce fut le signal d’une grande confusion. Vainement Brougham fit-il valoir les avantages d’une alliance avec O’Connell. Lord Althorp, chancelier de l’échiquier et leader de la chambre des communes, soutint que le cabinet était engagé d’honneur à poursuivre l’adoption du bill tel qu’il avait été proposé, et il déclara que, pour sa part, rien ne le ferait consentir à une pareille reculade. Conformant ses actes à ses paroles, il envoya le soir même sa démission au roi. Lord Grey appelait Althorp son bras droit. L’idée de se voir abandonné par lui mit le comble à son dégoût, et il adressa également sa démission à Guillaume IV. Le cabinet tout entier l’aurait suivi dans la retraite sans les efforts de Brougham. Il alla trouver successivement chacun de ses collègues, et, les pressant de demeurer fermes à leur poste, il entreprit de leur persuader que la présence de lord Grey n’était pas indispensable à la tête des affaires, et qu’on trouverait aisément quelqu’un pour le remplacer. Brougham triompha de leurs hésitations; mais aucune démarche ne fut tentée par lui auprès de lord Grey pour l’engager à revenir également sur sa détermination. Aussi, quand le lendemain le chancelier annonça dans la chambre des lords qu’il