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couronne. — Votre majesté excusera, je l’espère, ma hardiesse, répondit Brougham avec une apparente humilité, mais j’ai pris sur moi de faire préparer tout cela. — Mais les gardes n’ont pu recevoir aucun ordre, » objecta de nouveau Guillaume. C’était là une question délicate, car le roi conservait le commandement direct des gardes, et il n’était pas homme à souffrir qu’on empiétât sur ses prérogatives. « J’espère encore que votre majesté pardonnera à ma hardiesse, répondit Brougham, mais les gardes sont prêtes. — Vous avez donné des ordres aux gardes ! s’écria le roi, dont les yeux brillèrent d’indignation; mais savez-vous, milord chancelier, que c’est un acte de haute trahison. — Je le sais, sire, répondit fermement Brougham, et je suis prêt à subir personnellement tous les châtimens dont votre majesté me croira digne; mais je la supplie néanmoins une dernière fois de m’écouter et de suivre mes conseils, si la sécurité de sa couronne et la paix de son royaume lui tiennent véritablement au cœur. » Le roi reçut une vive impression des paroles chaleureuses du chancelier, et le jour même il prononça la dissolution du parlement.

Les élections nouvelles se firent à ce cri partout répété : « le bill, tout le bill, et rien que le bill. » Les ministres se trouvèrent donc assurés d’une grande majorité dans la chambre des communes, et leur projet traversa l’épreuve de la discussion sans subir aucune modification sérieuse; mais la chambre des lords, où l’opposition était en force, continuait à se montrer passionnément hostile, et le bataillon des tories, dirigé par lord Lyndhurst, fit essuyer aux whigs un rude feu. La cinquième nuit du débat, Brougham demanda enfin la parole, et s’efforça de prévenir le rejet imminent du bill par un des plus grands efforts oratoires qu’il ait peut-être jamais accomplis. Lui seul était capable de reprendre et de réfuter en détail tous les argumens que les différens adversaires du bill avaient fait valoir durant un long débat, et cela sans aider sa mémoire par le secours d’aucune note et d’aucun document. On oublie volontiers certaines insistances de mauvais goût et certains tours de plaisanteries un peu vulgaires quand on arrive à des passages d’un ton aussi élevé que celui-ci.

« Le noble lord (lord Dudley) pense que cette réforme n’aura d’autre résultat que de nous donner un peuple d’électeurs uniquement occupés à gagner leur pain de chaque jour, et qui n’auront ni le temps ni la curiosité d’étudier l’état des affaires. Il ne parle qu’avec dédain des hommes d’état de Birmingham et des philosophes de Manchester. Eh bien! je lui prédis qu’il vivra assez longtemps pour recevoir des leçons de sagesse pratique de la part des philosophes de Birmingham, et des leçons de persévérance de la