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cours, qui décident d’après les principes de la loi commune (courts of common law), c’est-à-dire qui cherchent dans l’application des textes législatifs la solution des difficultés qui leur sont soumises. Il avait rarement pratiqué sa profession devant les cours d’équité (courts of equity), c’est-à-dire devant celles qui décident principalement d’après les précédens d’une jurisprudence dont les premiers documens remontent à plusieurs siècles. Or le lord chancelier est précisément le premier juge d’équité du royaume. Requis d’appliquer les règles d’une jurisprudence dont il avait bien rarement feuilleté les annales, Brougham se trouva plus d’une fois dans l’embarras. Cependant il sut toujours se tirer d’affaire, grâce à l’adresse qu’il déployait à cacher sa perplexité, grâce aussi à la rapidité avec laquelle, au milieu des plaidoiries les plus diffuses, il s’appropriait les notions juridiques dont il allait avoir à faire l’application. A tout prendre, il s’acquitta donc à son honneur de ses attributions judiciaires, et ce ne fut pas le jurisconsulte, ce fut, comme nous allons le voir, l’homme politique dont la renommée devait avoir le plus à souffrir de son entrée au pouvoir.

En acceptant le ministère, lord Grey et ses collègues avaient pris vis-à-vis du pays l’engagement moral et annoncé aux deux chambres l’intention formelle de présenter dans un court délai un bill de réforme électorale. Purifier les sources d’où découlait le pouvoir de la chambre des communes en supprimant les bourgs-pourris, reconstituer d’après des données plus rationnelles le système de la représentation nationale en fixant un cens électoral à peu près uniforme, tel était le double but que poursuivaient depuis longtemps les réformateurs, et que le cabinet de lord Grey devait atteindre. Un temps assez long s’écoula avant que Brougham fût appelé à prêter au bill de réforme l’appui de sa brillante parole devant la chambre des lords. La chambre des communes, malgré les efforts de lord John Russell, n’adopta qu’à une seule voix de majorité le projet présenté par les ministres. Avec un si faible appui, il leur était impossible d’aborder la discussion des articles du bill, et ils se trouvèrent en présence de la grave nécessité de dissoudre un parlement qui comptait à peine quelques mois d’existence. S’il faut en croire Rœbuck, Guillaume IV hésitait à prononcer cette dissolution, qu’il devait, suivant le cérémonial, annoncer en personne aux deux chambres assemblées. Ce fut la hardiesse et la ruse de Brougham qui le déterminèrent. Brougham donna dans les moindres détails tous les ordres pour les apprêts du cortège royal; puis, se rendant chez le roi, il le pressa de partir sur-le-champ pour Westminster. « Mais rien n’est commandé, fit observer le roi, ni mes voitures, ni mes ajustemens, ni les grands-officiers de la