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valent à peu près à celui de garde des sceaux en France. Pas un débat de quelque importance n’est soulevé à la chambre des lords sans que le chancelier ne prenne part à la discussion, et c’est à lui que revient en même temps le droit de conférer les offices judiciaires les plus élevés. Ce n’est pas tout, le chancelier est le premier magistrat du royaume, soit qu’il siège seul à la cour de chancellerie, soit qu’il préside le comité des lords légistes (law lords) de la chambre haute, qui exerce en fait le pouvoir judiciaire de la chambre toutes les fois qu’appel est interjeté devant elle d’un jugement définitif rendu par une cour d’Angleterre, d’Ecosse ou d’Irlande. À cette lourde besogne s’ajoutent les fonctions administratives nombreuses et compliquées que le chancelier exerce comme tuteur suprême de tous les mineurs du royaume, comme surintendant des hospices, des établissemens de bienfaisance et d’aliénés, etc. Aussi, pour être dignement remplie, une pareille charge exige-t-elle que les aptitudes les plus diverses se joignent à la plus incessante activité. Les lenteurs et les incertitudes de l’avant-dernier chancelier, lord Eldon, avaient laissé pendant de longues années s’accumuler un arriéré d’affaires considérable que son successeur, lord Lyndhurst, n’avait même pas essayé de liquider. Dans son célèbre roman de Bleak-house, Dickens a immortalisé en les dramatisant les interminables délais de la cour de chancellerie. Brougham eut la gloire de rompre avec ces traditions fâcheuses. Peut-être exagérait-il un peu les prodiges de son activité quand, au terme de sa première année d’exercice, il se vantait publiquement d’avoir mis au courant tous les arriérés de la cour, et de ne laisser aucune cause pendante, excepté celles qui n’étaient point encore prêtes à être jugées; mais, sous le rapport de l’activité et de l’expédition rapide des affaires, il n’en demeure pas moins le chancelier le mieux méritant que l’Angleterre ait connu. Quant à la valeur judiciaire de ses décisions, son élévation subite lui avait fait dans sa profession même trop d’ennemis pour qu’elle ne dût pas être diversement appréciée. Comme premier juge de la chambre haute, il avait sur ses collègues les autres lords légistes, et sur ses prédécesseurs, Eldon, Lyndhurst, cette supériorité marquante d’avoir étudié dans sa jeunesse la loi écossaise, dont ceux-ci n’entendaient généralement pas un mot. Aussi, tandis que les légistes de la chambre haute se tiraient d’affaire en confirmant presque toujours les jugemens émanés des cours d’Ecosse, on accusait Brougham d’avoir goût à les infirmer pour faire montre de sa science. Par contre, à la cour de chancellerie il s’en fallait qu’il conservât les mêmes avantages. Ce que Brougham possédait de connaissances légales et d’expérience judiciaire, il l’avait acquis en plaidant devant les grandes