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tive de parcourir, en procession et à cheval, lui, très médiocre cavalier, toute la ville d’York, avec une gigantesque paire d’éperons à ses talons, une longue épée au côté et un casque en cuivre sur la tête ; mais il se tira sans encombre de cette formalité burlesque, dont un usage local lui imposait l’accomplissement. Cette élection toute populaire, dans un temps où l’influence aristocratique distribuait encore presque tous les sièges au parlement, causa une satisfaction très vive à Brougham. Dans son contentement, il lui échappa même de déclarer aux habitans d’York qu’il estimait l’honneur de les représenter au point de ne se laisser jamais induire, par aucune considération sur terre, à accepter une fonction publique. Il ne devait pas garder une longue fidélité à cet engagement.

Le ministère présidé par le duc de Wellington ne survécut que peu de jours à la convocation du nouveau parlement. Battu dans un vote sur une question insignifiante, Wellington déposa sa démission et celle de ses collègues entre les mains de Guillaume IV, qui sur-le-champ fit appeler lord Grey, le chef reconnu du parti whig, et lui confia le soin de composer un cabinet[1]. Dans une réunion que tinrent entre eux les principaux whigs, cette question fut posée : « qu’allons-nous offrir à Brougham? » Nature grave, caractère altier, lord Grey nourrissait des préventions contre Brougham, auquel il reprochait son inconsistance et son indiscipline. Il répugnait à lui confier le portefeuille d’un ministère. « Croyez-vous, demanda-t-il à lord Althorp, le leader des whigs dans la chambre des communes, croyez-vous que Brougham se contenterait d’être notre attorney-général? » Lord Althorp, secouant la tête d’un air de doute, fit cette réponse laconique : « demandez-le-lui. » Une entrevue fut ménagée entre lord Grey et Brougham, qui refusa avec dédain. Pressé d’indiquer ses préférences, il se tint sur la réserve, et à cette question que lui adressa lord Grey : « appuierez-vous le ministère? » il se contenta de répondre : « Je l’appuierai dans la mesure où ma conscience me le permettra. » Le ton dont il prononça ces mots donnait à craindre que sa conscience ne lui accordât pas souvent cette permission. On en eut bientôt la preuve. Le soir même, à l’ouverture du parlement, Brougham tenta, par une motion, de soulever la question de la réforme parlementaire. Il était tout à fait contraire aux usages d’ouvrir la discussion sur un sujet aussi grave alors que, politiquement parlant, il n’y avait pas de gouvernement. On le fit sentir à Brougham, qui consentit avec mauvaise grâce à retarder sa motion de

  1. Plusieurs versions ont circulé sur les négociations qui précédèrent l’entrée de Brougham dans le cabinet de lord Grey. (Voyez Rœbuck, History of the whig administration, t. Ier, Appendix.) Nous avons suivi celle de Campbell, qui nous paraît porter les caractères de la vraisemblance. Campbell est un témoin peut-être malveillant, mais généralement bien-informé.