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mort de George IV, on apprit que la révolution de juillet avait éclaté, et que le chef de la branche aînée de Bourbon venait de nouveau chercher en Angleterre un abri pour sa vieillesse et son exil.

Pour bien comprendre l’immense espérance qui, au lendemain de la révolution de juillet, gonfla d’orgueil et de joie le sein de la France, il faut avoir recueilli l’écho des cris d’enthousiasme qu’elle arracha par toute l’Europe aux amis de la liberté. Bien des peuples, bien des souverains aussi, qui la veille s’étaient endormis paisibles, se réveillèrent le lendemain profondément troublés. L’Angleterre elle-même n’échappa point à la contagion. Un souffle révolutionnaire souleva les couches profondes de la nation, et l’ambition vague de tenter quelque grand effort pour son affranchissement fit tressaillir chaque citoyen anglais. Il ne fallut pas longtemps à cette ambition pour arrêter légalement ses desseins, et la réforme parlementaire, qui la veille encore n’excitait ni la sollicitude des tories ni l’ardeur des whigs, devint, de par la volonté populaire, l’unique question du moment, sur le terrain de laquelle la lutte électorale devait s’engager. Le peuple anglais voulait avoir aussi ses journées.

Ce fut au plus fort de cette période agitée et à un court intervalle du jour fixé pour les élections que Brougham reçut une députation d’habitans du Yorkshire qui venaient le solliciter de se présenter aux suffrages de leur comté. Brougham ne possédait pas un pouce de terre dans cette partie de l’Angleterre; il n’y était connu que pour être venu plusieurs fois plaider devant les assises de la ville d’York. Il fut donc singulièrement flatté qu’on eût jeté les yeux sur lui. Le hasard voulut que la période électorale coïncidât avec la session semestrielle des assises et que Brougham y fût chargé de plusieurs affaires importantes. Il tint à honneur de ne se démettre d’aucune, et pendant deux semaines il donna l’exemple d’une activité physique et intellectuelle qui tenait presque du prodige. Au début de sa journée, il ouvrait par un long plaidoyer les débats de quelque procès considérable; puis, dépouillant à la hâte sa perruque et sa robe, il courait sur la place publique et débitait du haut des hustings quelqu’une de ces harangues semi-politiques, semi-bouffonnes, qui ravissent en temps d’élections la populace anglaise. Il retournait bien vite ensuite au palais de justice reprendre son accoutrement, et, jetant un coup d’œil sur les notes de son attorney, il improvisait une réplique au plaidoyer d’un adversaire qu’il n’avait pas entendu. Toutes les villes, tous les bourgs, tous les hameaux de la circonscription furent visités par lui, et il ne ménagea ni sa peine ni ses discours. Grâce à l’emploi de ces moyens, dont la légitimité contrastait avec la corruption qui s’étalait ailleurs, son élection fut emportée à une très grande majorité. Le jour du triomphe, la joie de Brougham fut peut-être un peu troublée par la perspec-