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dénoncer l’appui prêté par l’Angleterre à la conspiration que les souverains signataires de la sainte-alliance ourdissaient contre la liberté des peuples. Dans ces tournois parlementaires, l’avantage oratoire et les honneurs de la guerre étaient toujours de son côté; mais quand il provoquait un vote, c’était par trente ou quarante que se comptaient les partisans des mesures qu’il proposait. Ce qu’il y avait de plus sensible pour lui dans ces échecs, c’était que les voix des whigs eux-mêmes lui faisaient défaut. Les whigs n’aimaient point à entrer en campagne sous sa conduite, et ils n’avaient point foi dans sa tactique. Ils lui reprochaient de ne pas étudier suffisamment le terrain et d’engager des batailles inconsidérées; aussi ne parvint-il jamais au poste envié de leader de l’opposition dans la chambre des communes. Quand Ponsonby mourut en 1817, ce fut d’abord Tierney, puis lord Althorp, qui le remplacèrent, et au lieu de devenir général en chef, Brougham ne demeura jamais, à son grand dépit, que capitaine des enfans-perdus.

Non moins que le tact parlementaire, le tact oratoire faisait défaut à Brougham; il se perdait par la prolixité, par l’insistance, par l’excès. « Brougham, écrivait Romilly dans ses mémoires, est un homme d’un immense talent et d’un savoir prodigieux. Il est vraiment déplorable que son absence de jugement et de prudence paralyse les services que ses dons et ses bonnes intentions devraient rendre à la cause de l’humanité. » Ce n’est pas seulement l’humanité, c’est la réputation même de Brougham qui a souffert de cette absence de jugement et de prudence signalée en lui par le judicieux et délicat Romilly. S’il n’a jamais atteint le type de l’homme d’état consommé ni de l’orateur littéraire, c’est surtout faute d’avoir su plier son ardeur à la réflexion et son éloquence à la sobriété. Par ses intempérances de langage, qui blessaient souvent les justes susceptibilités de ses adversaires, Brougham s’attira plusieurs affaires désagréables. Il fut une fois cravaché dans les couloirs du parlement par un pétitionnaire dont il avait parlé assez cavalièrement dans la discussion. Bien que l’auteur de cette brutale agression fût pleinement dans son bon sens et qu’il eût même écrit un livre plein de mérite, il y eut parmi les membres du parlement, juges du délit, une entente tacite pour déclarer qu’il était fou, et l’affaire n’eut pas de suite. Peu s’en fallut aussi que Brougham ne croisât le fer avec Canning à la suite d’une scène de violences qui est demeurée célèbre. C’était peu de temps après que Canning était entré au ministère, faisant à ses collègues le sacrifice momentané de ses opinions sur la question de l’émancipation des catholiques, dont il avait toujours été partisan. Brougham ne manqua pas d’en tirer avantage contre lui, et, faisant allusion à un discours prononcé