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aux whigs par la politique brutale et inintelligente qu’il suivit au lendemain de ses grands triomphes extérieurs. On put croire pendant quelques années que le gouvernement de l’Angleterre allait être ramené par lord Castlereagh aux erremens de ces monarchies despotiques avec lesquelles il avait lié si étroitement sa politique continentale. La haine de l’esprit révolutionnaire avait aveuglé les tories au point de leur faire chérir les abus les plus crians de la législation anglaise au même degré et avec la même ardeur que les bases mêmes de sa glorieuse constitution. De là ces résistances obstinées et sans discernement à toute réforme, quelle qu’en fût la nature, qu’il s’agît d’émanciper les catholiques, de relâcher les entraves de la prohibition commerciale, ou d’adoucir la barbarie de la législation criminelle. De là ces répressions sanglantes comme le massacre de Manchester, ces poursuites pour haute trahison motivées par un propos imprudent tenu dans un meeting, ces procès de presse où l’on voyait des veuves ou des jeunes filles accusées de libelle, parce que les revenus d’un journal formaient une partie de leur modeste fortune. Aussi les annales constitutionnelles de l’Angleterre ne font-elles mention d’aucune opposition mieux fondée en ses attaques, plus sage en sa conduite, plus élevée en ses principes, que celle dont le ministère de lord Castlereagh eut à essuyer les coups, et dont Brougham fut, avec lord Grey, lord Lansdowne, Mackintosh, Romilly, le champion le plus redoutable et le plus passionné. la résistance que les de Serre, les Camille Jordan, les Royer-Collard, opposaient durant la même période aux excès de la réaction légitimiste peut seule lui être comparée.

Quel que fût le mérite des hommes qui luttaient de concert avec Brougham contre la domination tyrannique de lord Castlereagh, il n’y en avait pas un seul qui, sous le rapport de la puissance oratoire, pût lui être un instant comparé. Jamais l’éloquence de Brougham n’atteignit des sommets aussi élevés que durant ces premières années de sa vie parlementaire, — où, dégagé de toute préoccupation imminente d’intérêt personnel, il ne tirait ses inspirations que de son amour sincère pour la justice et la liberté. Ce serait une longue énumération que celle de tous les débats mémorables dont il prit sa part, car il n’était pas homme à laisser discuter devant lui une question de quelque importance sans exprimer son avis, et on ne connaissait pas à la chambre des communes d’orateur qui gardât moins volontiers le silence. C’était tantôt pour demander, au nom de l’intérêt public, une diminution des impôts par la réduction des dépenses militaires, tantôt pour protester contre les mesures oppressives à l’aide desquelles lord Castlereagh se proposait d’écraser dans leur germe les agitations populaires, tantôt pour