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les accusations auxquelles son étrange conduite donna naissance. À en croire ses ennemis, il aurait trahi d’abord les intérêts de sa cliente en cherchant à se faire bien venir du régent par des propositions d’accommodement qu’il savait devoir être désavouées; puis il aurait ensuite poussé volontairement les choses à l’extrême en faisant échouer un arrangement qui eût été la ruine de ses espérances et de ses ambitions personnelles. C’est là, suivant nous, une appréciation trop sévère. Brougham n’était assurément pas un puritain, et il ne se rattachait pas à cette race des Anglais rigides qui, en littérature, a produit les Bunyan, et en politique les Wilberforce; mais c’était un honnête homme, et il n’avait dans le caractère rien de bas ni de tortueux. Ce fut bien plutôt par présomption et par légèreté qu’il pécha dans cette occurrence : par présomption, quand il proposa au nom de la reine, mais sans son autorisation, une transaction qu’il jugeait pour lors avantageuse ; par légèreté, quand il négligea de lui transmettre des offres qu’il considérait désormais comme inacceptables. Nous devons dire cependant que la reine Caroline, mieux placée qu’un autre pour en juger, partageait dans les derniers temps de sa vie l’opinion des ennemis de Brougham. « Ce M. Brougham est un grand coquin, » dit un jour à Crabb Robinson une marquise italienne qui avait vécu dans l’intimité de la reine. Et comme Robinson lui demandait compte de la sévérité de son jugement, elle reprit: « La reine elle-même m’a assuré que pour satisfaire sa propre ambition il l’avait fait venir en Angleterre en lui disant seulement : « Si vous avez eu des faiblesses, ne paraissez pas. » Mais, monsieur, continuait la marquise avec énergie, quelle femme, même du peuple, avouera jamais à son avocat qu’elle a eu des faiblesses ? Oh ! oui, c’était un traître, ce M. Brougham. » Malgré la vivacité de ce témoignage, nous persistons dans l’opinion contraire à celle de la véhémente marquise.

Quoi qu’il faille penser de la conduite antérieure de Brougham, il est impossible de méconnaître l’habileté, l’ardeur et le dévoûment qu’il mit au service de la reine à partir du jour où elle fut traduite devant la chambre des lords et où sa destinée n’eut plus à dépendre que du verdict de ses juges. Le cabinet avait déposé contre elle au nom du roi uns accusation formelle d’adultère avec Bergami, et il avait soumis à la chambre des lords un bill de peines et pénalités (bill of pains and penalties) qui privait la reine d’Angleterre de ses titres, de ses honneurs et de ses prérogatives ; mais cette voie de procéder souleva une première difficulté. La reine n’avait-elle pas le droit de réclamer d’autres juges ? Brougham demanda d’être entendu par la chambre des lords sur cette question de compétence, et, devant un tribunal plus attentif que bienveillant, il débuta en