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Brougham que Caroline partit en 1814 pour le long voyage durant lequel son imprudence (pour employer le terme le plus doux) devait fournir contre elle à ses ennemis des armes si terribles. Le rôle joué par Brougham dans les longues négociations qui précédèrent le retour de Caroline a été l’objet de vives controverses, et sa réputation a gravement souffert des apparences équivoques qu’il a laissées planer sur sa conduite. En 1819, après que les rumeurs les plus injurieuses eurent commencé de circuler sur le compte de la princesse, et que son nom eût été fréquemment accouplé par la malignité publique avec celui du courrier Bergami, Brougham soumit mystérieusement à lord Liverpool, alors premier ministre, un projet d’arrangement. Aux termes de ce projet, si le régent avait promis de continuer, sa vie durant, à la princesse son épouse la pension de 35,000 livres sterling qu’un acte du parlement lui avait allouée seulement jusqu’à la mort de George III, celle-ci aurait pris de son côté l’engagement de ne jamais remettre les pieds en Angleterre. Or Brougham lui-même fut plus tard réduit à convenir qu’aucune instruction ne l’avait autorisé à proposer ce marché honteux, équivalent à un aveu de culpabilité en présence de l’accusation qui pesait sur la conduite de la princesse. En revanche, quand, après la mort de George III et l’avènement du régent au trône, lord Liverpool, prenant cette fois les devans, chargea Brougham de soumettre à l’acceptation de la reine une transaction à peu près semblable, Brougham s’abstint, par une négligence à peine croyable, de lui faire parvenir une proposition qui, venant de la part de son mari, pouvait, ce semble, être acceptée sans honte. Après que le nom de Caroline eut été effacé des prières liturgiques, il la laissa arriver, menaçante et indignée, jusqu’à Saint-Omer, où elle lui avait donné rendez-vous. Durant les négociations qui prirent place dans cette petite ville, il garda jusqu’au bout le même silence inexplicable, et ce fut par l’intermédiaire de lord Hutchinson, le fondé de pouvoirs du roi, que Caroline eut pour la première fois connaissance de l’arrangement proposé. En recevant de lord Hutchinson une communication officielle où l’étendue des sacrifices qu’on lui demandait n’était nullement dissimulée, Caroline ne prit conseil que de sa colère, et, donnant l’ordre d’atteler sa voiture, elle partit immédiatement pour Calais. Brougham lui-même ne fut averti de ce brusque départ qu’en voyant passer sous ses fenêtres la chaise de poste qui l’emmenait. Quelques jours après, Caroline débarquait à Douvres, et elle était accueillie par les acclamations d’une multitude qui la croyait victime d’une persécution injuste, et qui chérissait en elle l’ennemie mortelle d’un souverain détesté.

Brougham se défendit toujours avec beaucoup de hauteur contre