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reine d’Angleterre. Ln épisode curieux, demeuré longtemps inconnu, montre jusqu’à quel point l’influence de Brougham était grande sur Caroline et sur les personnes qui lui étaient attachées. Charlotte, fille de Caroline et du régent, était élevée par ordre de celui-ci dans l’éloignement de sa mère. Menacée d’un mariage auquel elle ne voulait point consentir, la jeune princesse s’échappe un soir de Warwick-House, où on la tenait comme enfermée, gagne à pied le carrefour populeux de Charing-Cross, monte dans une voiture de louage et se fait rapidement conduire à Connaught-Place, où demeurait Caroline. En même temps elle avait expédié un message à Brougham, qu’elle considérait comme l’ami le plus fidèle de sa mère, et qui lui inspirait une confiance et une vénération sans bornes. Brougham accourut et s’efforça vainement de lui persuader de prévenir la colère de son père en retournant à Warwick-House ; Caroline, à son honneur, joignit ses instances à celles de Brougham. Le chancelier lord Eldon, les ducs d’York et de Sussex, oncles de la princesse, qui, prévenus de son escapade, étaient arrivés chacun de leur côté, lui firent entendre leurs représentations. La nuit tout entière s’était écoulée, le jour commençait à poindre, et c’était à peine si la princesse obstinée semblait faiblir quand Brougham eut une inspiration heureuse qui acheva de la déterminer. Il la conduisit sur le balcon, et, lui montrant le square, où quelques curieux commençaient à se rassembler, il lui dit d’une voix chaleureuse : « Il vous suffirait, madame, d’apparaître dans quelques heures sur ce balcon où nous sommes pour que tout le peuple de cette vaste métropole se rassemblât sur cette place dans un sentiment de commune sympathie pour vous; mais vous paieriez cher ce triomphe d’une heure quand des soldats viendraient pour assurer au prix de l’effusion du sang le triomphe des lois du pays. Que votre altesse s’en souvienne toute sa vie, jamais elle n’échapperait à la haine dont le peuple anglais poursuit ceux qui, en violant la loi, ont attiré sur leur patrie de pareilles calamités! » La jeune princesse céda, et avant que la grande capitale fût entièrement réveillée, elle était de retour à Warwick-House. Il y a dans les plaidoyers et dans les discours de Brougham bien des passages dignes d’admiration; mais il n’y en a peut-être pas qui soient d’une aussi véritable éloquence que ces quelques paroles improvisées sur le balcon de Connaught-House, alors que les premiers rayons du soleil, perçant les brouillards de Londres, éclairaient la place presque déserte ; c’est au point de se demander si dans un récit publié trente ans plus tard, et qui fut une révélation, Brougham n’a pas dramatisé un peu les circonstances de cet incident oratoire.

Ce fut néanmoins malgré les observations et les conseils de