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articles d’un journaliste qui s’était permis de le traiter avec irrévérence. Il excellait dans ce genre tout spécial de plaidoyers, et ne reculait pas devant l’idée d’adresser un appel aux passions du temps, quand l’intérêt de sa cause semblait le lui commander. C’est ainsi que la défense d’un client accusé d’avoir écrit un libelle contre le clergé du comté de Durham était pour lui l’occasion de s’élever contre l’indolence et la richesse des ministres de l’église anglicane en termes dont l’ironie amère du passage suivant peut donner une idée : « Chose étrange à dire et qui paraîtra sans doute incroyable à quelques-uns de ceux qui m’entendent, dans toute l’Ecosse, depuis la Tweed jusqu’aux Shetland, on ne rencontre pas un évêque, pas un chapitre, pas un doyen, pas même un ministre suppléant. Oui, nos frères du nord sont plongés dans les ténèbres d’une barbarie si épaisse qu’ils ne paient l’entretien d’aucune cathédrale et d’aucun bénéficiaire non résidant. Pauvres ignorans! ils ne savent même pas ce que c’est que la dîme. D’un bout de l’année à l’autre, ils n’acquittent pas le tribut d’une gerbe de blé, d’un porc ni d’un mouton. Et ce qui les rend non moins dignes d’admiration que de pitié, c’est qu’ils ont beau voir leurs intérêts spirituels si cruellement négligés, ils n’en formant pas moins aujourd’hui le peuple le plus fidèle à son roi, le plus heureux, le plus moral et le plus religieux peut-être qu’on puisse rencontrer dans l’univers. » Brougham avait préparé longuement ce plaidoyer, demeuré célèbre. La veille du jour où il le prononça, un de ses amis le vit de loin se promener à grands pas en gesticulant le long de la petite rivière qui baigne la ville de Durham; il voulut l’aborder. « Laissez-moi, laissez-moi ! lui cria Brougham en l’écartant du geste, je suis en train de distiller du venin contre le clergé de Durham. »

Brougham ne fût point au reste parvenu comme avocat à une célébrité aussi grande sans l’éclat qu’a jeté sur son nom la défense de la reine Caroline. Les premières dissensions de Caroline de Brunswick avec son royal époux dataient déjà de loin, quand en 1812, alors qu’elle était encore princesse de Galles, Brougham lui fut présenté par Canning. Loin d’imiter la réserve de lord Grey et des autres chefs du parti whig, qui déclinaient cette alliance compromettante, Brougham déploya tout ce qu’il possédait d’amabilité et de séduction pour conquérir les bonnes grâces de la princesse. Il est permis de penser qu’il envisageait déjà l’issue de ses différends avec le régent son mari, et qu’il était désireux de s’assurer à l’avance un rôle dans le dénoûment. La princesse de Galles lui témoigna bientôt la confiance la plus absolue et lui promit d’user en sa faveur du droit que lui donnait la constitution anglaise, en le nommant son attorney-général le jour où la mort de George III la ferait