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au XVIIIe siècle, Hume, Robertson, Reid, Adam Smith, Fergusson, Dugald Steward, y avaient presque tous été élèves ou professeurs. Les exemples et la tradition des uns, les leçons et les encouragemens des autres enflammaient l’émulation d’une jeunesse studieuse. Mackintosh, qui a précédé Brougham à l’université de dix années seulement, nous a laissé dans ses mémoires le tableau animé de sa vie d’étudiant et de ces discussions où Benjamin Constant, « jeune Suisse de manières bizarres et d’un grand talent, » au dire de Mackintosh, se faisait déjà remarquer. Dans un de ses meilleurs essais, Brougham est revenu avec complaisance sur les souvenirs de sa vie d’université en rappelant l’impression qu’avaient produite sur lui les leçons de l’illustre chimiste Black. Il s’était senti d’abord attiré par l’étude des sciences, et ses premiers essais furent une suite d’opuscules sur la décomposition de la lumière et sur le calcul infinitésimal, qu’une société de Londres jugea dignes d’être imprimés à ses frais. Brougham conserva toute la vie la prétention d’avoir une connaissance approfondie des lois de l’optique, tandis que, selon ses détracteurs, il prenait volontiers ses erreurs pour des découvertes. Il fallait, en tout cas, une singulière force d’esprit pour traiter à dix-huit ans et comme en se jouant de matières aussi abstraites. En même temps qu’il étudiait l’optique, Brougham s’était en effet jeté à corps perdu dans les discussions politiques, qui étaient alors l’occupation favorite, on peut dire l’amusement de la jeunesse écossaise réunie dans les clubs. Le talent précoce que Brougham déployait dans ces discussions, la vivacité de ses saillies, la vigueur de son argumentation, donnaient à tous ceux qui l’entendaient l’idée qu’il serait un jour l’égal des Fox et des Sheridan. Il apportait au reste dans la vie physique la même ardeur que dans la vie intellectuelle, et après toute une journée laborieusement écoulée dans sa chambre d’étudiant, on le rencontrait le soir dans les tavernes, en compagnie d’une bande de jeunes fous avec lesquels il se précipitait dans des plaisirs d’un ordre peu relevé, moins, s’il faut en croire Campbell, par inclination naturelle que par prétention à l’universalité.

Parvenu à l’âge de quitter l’université et de choisir une carrière, ce fut un jeu pour lui que de subir les examens nécessaires pour acquérir officiellement le titre d’avocat. La nature de Brougham ne comportait pas l’attente patiente de cette première occasion, qui est parfois si lente à venir dans la vie des jeunes gens, et nous allons le voir chercher, dans l’affectation de certaines singularités, les prémices de sa réputation. Original, il l’était sans doute autant que personne, par nature et par tempérament. Excentrique, il ne pouvait manquer de le devenir par confiance en lui-même et par mépris