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nera, le général Serrano s’enfermant dans sa régence, le général Prini se retranchant dans son inviolable présidence du conseil, les cortès s’épuisant à ne rien faire.

Que sortira-t-il de cette confusion ? Il y a des gens à Madrid qui croient que le général Prim a ses raisons pour prendre assez philosophiquement son parti de toutes ces impossibilités qui s’accumulent, qu’il a son secret, et que tout cela pourrait bien finir par une dictature, si quelque nouvelle insurrection républicaine ou carliste venait en fournir l’occasion. La dictature, c’est bien possible, c’est la fin de beaucoup de révolutions ; mais au profit de qui et pourquoi s’établirait cette dictature ? Prim, s’il tentait cette aventure pour lui-même, réussirait-il à confisquer complètement le général Serrano ? Topete, qui n’est pas sans influence, resterait-il inactif ? M. Rivero lui-même, le nouveau ministre de l’intérieur, se prêterait-il à ces plans ? Le général Prim pourrait avoir bientôt contre lui tout le monde, y compris les républicains, qui l’aideraient peut-être au premier moment pour l’abandonner le lendemain. La dictature serait tout au plus un signe nouveau de la maladie fort compliquée où se débat l’Espagne, et n’en serait pas le remède.

Ce n’est pas seulement la politique qui est malade au-delà des Pyrénées, les finances sont atteintes d’une paralysie plus grave encore peut-être. On ne sait plus en vérité comment le gouvernement se soutient et fait face à tout. Il a eu recours à tous les expédiens, et en ce moment même, avant d’avoir touché la totalité du dernier emprunt contracté il y a quelques mois, il aborde une nouvelle opération financière qui, sous le voile d’une conversion des diverses dettes de l’Espagne, ne sera qu’un emprunt de plus. Le ministre des finances, M. Figuerola, qui n’est certes pas le membre le moins embarrassé du gouvernement, est réduit, pour assurer d’avance le paiement des prochains semestres de la dette, à proposer aux cortès une émission de bons du trésor pour la somme de 714 millions de réaux, la négociation des tabacs des Philippines, le fermage ou la vente des mines d’Almaden et de Riotinto, l’aliénation de ce qui reste des biens nationaux et des biens du patrimoine royal. A suivre ce chemin, on peut aller loin, et la continuation du provisoire ne servira certainement pas au rétablissement des finances espagnoles. Tout se tient ; malheureusement le provisoire au-delà des Pyrénées dure depuis quinze mois et ne paraît pas devoir finir de longtemps.

Les révolutions en tout pays ont cela de triste qu’elles dévorent les hommes et ne les remplacent pas toujours. Combien reste-t-il, à travers les événemens et les épreuves, de ces juges intègres portant invariablement jusqu’au bout le fier idéal de leur jeunesse, des vraies et pures revendications ? C’est un de ces personnages intègres qui disparaît avec le duc de Broglie, mort ces jours passés chargé d’années et de considération. Il était l’un des derniers d’une génération qui s’en va. Né