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présente ou prépare ses projets, le corps législatif présente les siens. C’est de toutes parts un tumulte assourdissant de propositions, un fonctionnement à toute vapeur de l’initiative individuelle appliquée à toute sorte de questions, les unes graves sans doute, les autres passablement oiseuses. Si le corps législatif a la prétention d’examiner la moitié des propositions qui lui sont soumises en ce moment, il en a pour l’année, et s’il porte dans cet examen l’inexpérience qu’il témoigne depuis quelques jours dans ses travaux, alors on ne sait plus quand il en finira. Malheureusement nos discussions n’en sont pas venues encore à prendre le caractère pratique et simple des débats du parlement anglais. On se perd dans les interpellations, les interruptions, les questions, les incidens ; on bataille pendant toute une séance sur des minuties pour finir par ne plus savoir ce qu’on a discuté et sur quoi on a voté. Au milieu de tout cela cependant se dégage une discussion qui a pris trop de temps, il est vrai, mais qui a été du moins substantielle et forte, qui s’est concentrée entre M. Thiers et M. de Forcade : c’est la discussion sur le traité de commerce avec l’Angleterre et sur l’état de l’industrie française. Elle ne paraît point terminée, puisqu’il y a encore trois ou quatre interpellations qui vont se succéder ; mais enfin elle est arrivée à un résultat précis. On sait maintenant un peu à quoi s’en tenir : le traité de commerce ne sera point dénoncé dès ce moment, comme le demandaient les protectionistes, et on va ouvrir une vaste enquête parlementaire. C’est un point acquis, et c’est sans nul doute le dénoùment le plus raisonnable. Il y a deux choses dans cette discussion, la question même du fond, et une question politique qui a éclaté à l’improviste comme un coup de foudre, qui a mis le ministère en cause et qui a été pour lui une occasion nouvelle de dégager et d’affirmer sa position au milieu de tous les intérêts en lutte.

Cette dernière question, quoique secondaire en apparence, est devenue aussitôt la principale, on le conçoit, puisqu’elle pouvait conduire à une vraie crise politique en provoquant des scissions dans le ministère comme dans le corps législatif. Il n’en faudrait pas trop parler. Nous nous demandons seulement comment un homme aussi expérimenté que M. Thiers, si bien fait pour exercer un utile ascendant, a pu céder à une impatience qui mettait tout le monde, à commencer par lui-même, dans une situation fausse. En voulant frapper un dernier coup pour obtenir la dénonciation du traité de commerce, l’illustre homme d’état a failli tout compromettre. Il a piqué la majorité du corps législatif en lui laissant entendre que, si elle ne votait pas la dénonciation immédiate du traité, elle justifierait le reproche qu’on lui fait de n’être pas la représentation exacte de l’opinion du pays, et il a mis le ministère dans l’embarras en lui imposant d’autorité en quelque sorte la solidarité de ses doctrines. Quelque déférence qu’il eût pour un homme tel