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scène et de la perspective profonde, l’homme aux prises avec ces dieux inférieurs qui ne sont pas encore des hommes et qui sont encore des bêtes. Pour les Grecs, la forme humaine est au plus haut ; la beauté, perfection de cette forme, est le plus riche don qu’ils puissent faire aux supérieurs et aux immortels. Aux olympiens, la beauté sans fin, la joie, les festins et le rire ; aux plus grands, la majesté, l’harmonie ! L’homme est autre ; le Lapithe n’a point l’élégance raffinée, son élégance est mâle et sauvage. Il va frapper. Il a du plaisir à briser de sa massue la tête de son ennemi. Il fait métier de destructeur de monstres, de justicier, comme Hercule et comme Apollon. Une longue draperie traînante concourt à l’agrément des lignes, indique la direction du mouvement, et servirait au besoin d’appui aux jambes du centaure.

On a objecté vainement que dans ce groupe tout n’est pas entièrement neuf. Quelques parties rappellent des médailles. Nous croyons que ce dire n’a rien de fondé, M. Barye ne procède pas ainsi ; il n’ignore point les maîtres, et il fait bien. Il est trop honnête et trop franc pour se tailler un vêtement dans des lambeaux arrachés çà et là. Sa véritable pourvoyeuse est la nature. Il y retourne avec confiance afin de rester lui. C’est là son secret. Chacun ne peut-il puiser à la même source ? Il n’en fait pas mystère. D’ailleurs tout est dans la manière de traiter. Le thème non plus n’est pas neuf ; d’autres demain le traiteront encore sans pour cela commettre des plagiats. M. Barye nous semble plutôt apte à être créancier que débiteur. Que nous importe au surplus ? Cette récrimination n’est-elle pas la monnaie de mauvais aloi dont on a payé tant de chefs-d’œuvre ? Si nous ne pouvons être sans passions, nous devrions du moins essayer de les contenir, et ne pas emprunter chaque jour les pierres des tombeaux pour lapider les vivans.

Quelques-uns des chefs-d’œuvre de Barye deviendront aussi des antiques, et peut-être en retrouvera-t-on plus tard dans des fouilles menées avec ardeur à prix d’argent pour exhumer les trésors ou les débris de l’art actuel. Imaginez ce qu’on pensera si dans un sol fraîchement remué on découvre intact ou brisé un morceau comme celui-ci. Les délicats et les connaisseurs s’extasieront ; il s’en trouvera qui, ravis d’enthousiasme, croiront sincèrement y reconnaître l’inimitable antiquité. Et que serait-ce si le bronze était signé de quelque nom grec à peine visible ? Quel emportement, quel redoublement d’éloges ! Peut-être nous-mêmes ne saurions-nous nous défendre de pareilles erreurs ; elles sont si faciles à commettre ! De là les succès de tant de supercheries et de fraudes littéraires qui ont eu pour victimes des érudits désintéressés. En fait d’art, qui se flattera de n’avoir jamais été dupe ou jouet d’une illusion ? La critique alle-