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et de l’étranger, les professeurs de dessin, viennent en ses magasins demander des modèles propres à populariser l’art dans notre pays, à en jeter la bonne semence. On aperçoit sans peine combien il importe que ces travaux, si modestes en apparence, soient dirigés avec intelligence et activité. Les beaux-arts devraient relever du ministère de l’instruction publique, et en tout cas de pareils intérêts ne devraient jamais être confondus avec ceux de la liste civile. M. Barye apportait le concours d’un savoir spécial, que l’administration se fût assuré pour longtemps, si elle eût mieux connu son métier ; mais l’artiste ne prit pas racine au Louvre, il n’eut pas même le temps de s’accoutumer à ses fonctions. Il revint habiter dans un quartier retiré, sur cette montagne Sainte-Geneviève qui fut le berceau des études et qui en est encore le centre. Il a toujours eu du goût pour ces retraites, non pas silencieuses, — qui donc en découvrirait dans notre Paris moderne ? — mais d’où s’est en allé le mouvement de la foule bruyante, l’agitation sans relâche. Il demeure dans un vieil hôtel autrefois donné, dit-on, par Louis XIV aux Stuarts exilés et habité depuis par Colbert. Une partie des pièces a été transformée en salle de vente pour ses œuvres, exemple de cou- rageuse initiative qui ne sera point imité.

De la sorte le sculpteur rentra en lui-même et dans ses chères occupations pour ne plus s’en distraire. D’autre part, la célébrité s’était faite peu à peu pour lui. La France, qui volontiers s’érigerait seule juge en cette matière, avait été devancée par l’aveu des autres nations. De tous côtés on reconnaissait le mérite de ces groupes de bronze, où nous persistions à ne voir qu’un art de second ordre. L’Allemagne, la Belgique, l’Italie, l’Angleterre, la Russie à son tour, nous renvoyaient l’écho du nom de Barye. Cela nous fit prêter l’oreille et ouvrir les yeux ; les plus dédaigneux consentirent à regarder, et l’on reconnut enfin que nous comptions un grand artiste de plus. Quand la réunion du Louvre aux Tuileries procura du travail à tous nos statuaires, il ne fut pas oublié, ce fut un de ceux qu’on déclara bien partagés. Sur les façades des pavillons Daru, Denon, Colbert et Turgot, il eut mission de symboliser les mérites du régime qui s’intronisait, et qui se disait à lui-même, en de fades allégories, des choses qu’il eût pu laisser dire aux autres. On devançait ainsi l’opinion. Ici la Paix, ici la Guerre, ici la Force défend le travail, ici l’Ordre punit les pervers. La dernière de ces conceptions était une allusion délicate à des paroles retentissantes : « il est temps que les méchans tremblent et que les bons se rassurent. » Sur ce programme, qui n’était pas sans doute celui qu’il eût préféré, le sculpteur exécuta quatre groupes recommandables à plus d’un titre, mais qui ne sont pas de ceux qu’on distinguera dans