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de plus. Tout ce qu’on y ajoutera ne fera qu’en gâter l’aspect. Nous sommes de ceux qui tremblèrent quand ils virent M. Viollet-le-Duc remettre une flèche à un édifice religieux que nous avions l’habitude de considérer comme entier. L’entreprise a réussi, nous en faisons l’aveu. Combien en citera-t-on de la sorte ? Etes-vous sûr que Notre-Dame, avec le couronnement de ses tours signalé dans les plans primitifs, serait d’un effet plus majestueux qu’avec ses simples lignes horizontales largement assises ?

Lorsqu’il fut question de dédommager le sculpteur de toutes ces tergiversations, ce qu’il y avait de mieux était de mettre le public en situation d’estimer par lui-même de quelles œuvres cet artiste était capable. Des musées possédaient déjà quelques-uns de ses travaux ; mais, si les amateurs et les lettrés vont là pour apprécier et pour s’instruire, il est une partie de la population, et ce n’est pas la moindre, qui ne regarde les objets que quand ils sont placés directement sous ses yeux, sur son passage, sur les places, dans les jardins. Or ce n’était pas user de faveur envers M. Barye que de lui octroyer un de ces endroits en vue. Ainsi fut-il fait : son Lion au serpent lui fut demandé ; puis le Lion tranquille fut mis au jour dans la promenade des Tuileries. S’il n’est pas aussi remarquable que l’autre au point de vue de la fonte, à peine quelques personnes eurent-elles la notion de cette différence. Dans son appareil assez lourd, il est aussi digne d’admiration, plus encore peut-être. Rien de farouche : il est au repos, humant l’air ; les muscles du visage ne se meuvent pas. Ces mâchoires de bronze ont fait leur office, l’appétit est satisfait. Il digère, assis sur sa croupe. Comme œuvre d’art, il ne lui manque rien, c’est un morceau irréprochable. Silhouette, contours, relief, ensemble, détails, tout est serré et précis. Il ne porte point l’empreinte de l’exubérance de jeunesse, mais plutôt, et sans étalage, celle de la maturité du talent et du savoir. Aussi les traits lancés jadis contre M. Barye se retournent dès ce moment contre ses adversaires. L’école académique, j’entends cette coterie qui ne se départ pas du dogme immobile, vieillot et suranné, qui a peur de toute agitation, de tout mouvement, était bravement bafouée. Ce n’est plus là, s’écriait-on, ce lion plus fantastique que les animaux de l’Apocalypse, ce personnage grave, sérieux, empesé, ce monarque à la crinière, — non, à la perruque peignée tombant en cascade autour d’une tête pleine des plus nobles sentimens, qui fait le beau et de sa bouche en cœur lance mi jet d’eau sans rugir, — ce lion, qu’on retrouve encore à l’entrée de l’avenue de l’Observatoire au Luxembourg, qui figure près du foyer, dans les cabanes et dans les salons des auberges, en imagerie d’Épinal ou en gravure à grand effet, à côté du lion de Pyrame et Thisbé, — le lion enfin d’Androclès ou de