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de la terre. Là sans doute encore la passion l’emporte au-delà de la vérité, ou la mesure lui fait défaut dans l’interprétation de sa pensée. Si l’on ne peut nier que M. Barye fut privé durant des années des moyens de se faire connaître du public qui décerne la popularité, il ne fut pas cependant, non plus que Decamps, entièrement méconnu. Ce surtout de table, « d’un usage impossible, » auquel Decamps fait allusion, prouverait, si cela était nécessaire, que ceux qui s’intéressaient à l’œuvre du statuaire d’animaux prirent soin de ne pas restreindre les proportions des travaux qui lui étaient demandés, puisqu’on ne put concevoir à certain moment où on le logerait, et qu’il fut question de reculer des murs d’appartemens pour lui donner place aux jours de gala. Les diverses pièces en furent dispersées, il est vrai, mais l’auteur lui-même n’eut pas à s’en plaindre ; ses amis affirment qu’elles gagnèrent à se présenter par groupes isolés plutôt que dans cet ensemble un peu lourd dessiné par M. Chenavard, qu’il est bon de ne pas confondre avec M. Paul Chenavard, l’auteur de cette Divine Tragédie qui a fait tant de bruit dans ces derniers temps.

Voici du reste quelle fut la fortune de ce surtout si discuté. Le duc d’Orléans avait manifesté à M. Barye le désir d’avoir de lui une belle pièce en ce genre. Après être tombé d’accord avec l’artiste sur quelques points, il lui laissait le soin de la composer. Sur ces entrefaites, on connut par la voie des journaux que la direction en était commise à M. Chenavard, qui s’installa à son de trompe, annonçant qu’il s’en reposait sur M. Barye pour la partie décorative. Il y eut là quelque malentendu sur lequel on ne s’expliqua point. M. Barye restait sur son terrain, il n’exigea pas davantage. Les modèles des groupes d’hommes et d’animaux, les chasses, prodigieuses d’entrain et d’allure, excitèrent un concert d’admiration que ne rencontrèrent point au même degré les dispositions ordonnées par M. Chenavard, ni les ornemens qu’il avait esquissés. On déplorait d’un côté que les chasses et les groupes, au lieu d’être arrangés pour la fonte et la ciselure du métal précieux, ne fussent pas taillés dans la pierre ou le marbre pour être mis à hauteur des yeux sur des piédestaux dans des parcs et des jardins publics, à l’entrée des forêts de chasses royales. D’autre part, — quel contraste ! — on répétait que les ajustemens dus au génie de Chenavard n’étaient pas même médiocres. Ils occupaient aussi trop de place. Il n’y avait salles assez grandes pour contenir ce surtout ; les architectes, qui n’entendaient point la plaisanterie, ne se prêtèrent pas au jeu ; en sorte que ce malheureux Chenavard, raillé et honni, ne vit plus qu’un moyen honnête de dénouer cet imbroglio. Ses espérances détruites, il ne lui restait plus qu’à se retirer de la scène du monde