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Il travailla ensuite chez un orfèvre. Assez bien en cour, ingénieux à se faire valoir et à profiter du travail d’autrui, cet homme, du nom de Fauconnier, obtenait les commandes officielles. Il fut fournisseur obligé de ces tabatières d’or sur lesquelles étaient représentées les entrevues des souverains. Par aventure, il avait des commandes d’un ordre élevé, ce qui ne fut pas inutile à M. Barye, car, tout en se rompant à la pratique, il ne perdait pas des yeux le but plus noble auquel il voulait atteindre. Peut-être lui est-il demeuré, — nous nous en expliquerons plus loin, — quelques vestiges fâcheux de ses relations avec Fauconnier. Il est si difficile de se séparer de soi-même, de rejeter tout le bagage dont on s’est une fois chargé ! L’orfèvre occupait en secret des aides qui ne se connaissaient point les uns les autres, dont plusieurs, Wechte entre autres, sortirent à la fin de ces limbes. Ils exécutaient sans grand profit pour eux-mêmes les dessins et les divers morceaux qui valaient au pourvoyeur attitré à la fois les éloges et les bénéfices.

C’était, après tout, une faible cervelle, que ce Fauconnier. Il mourut assez tristement, La lecture des mémoires d’un de ses confrères, de Benvenuto Cellini, mémoires farcis d’exploits et de crimes, retentissans de coups d’estoc et de taille, troubla la tête de ce pauvre homme ; il ne put y résister. Cela précipita sa fin. M. Barye n’avait pas de ces fièvres sans raison ni de ces rêves stériles, point de ces ambitions naïves et coûteuses qui sont le luxe des songe-creux. Quand la conscription l’avait désigné à son tour, au temps où Napoléon demandait à M. de Fontanes des poètes, des savans et des artistes, sans réfléchir qu’il les faisait faucher en herbe sur les champs de bataille, Barye avait dû partir. Il n’alla pas loin. Il n’ambitionnait point la « gloire des armes. » N’avait-il pas mieux à faire ? On l’attacha au dépôt de la guerre. Il dut, au lieu de tirer des coups de fusil, façonner pour nos forteresses des reliefs qu’on voit encore, assure-t-on, aux Invalides. Après la catastrophe de l’invasion, il déposa les armes et reprit le ciseau. Ce ne fut pas la période la moins tourmentée de son existence. Le problème était malaisé à résoudre. Il lui fallait en même temps vivre de son travail et se fortifier dans son art. Il fréquenta les ateliers de Bosio et de Gros. Qu’apprit-il chez l’un et chez l’autre ? On l’a conjecturé d’après les résultats, méthode dont il ne faudrait pas abuser. Chez Bosio, par un esprit de contradiction légitime, il puisa la haine de tout ce qui, dans la tradition, est purement conventionnel, le dégoût du pompeux et du magnifique, du vide et du boursouflé, l’horreur de cette majesté d’emprunt qui n’est qu’un étalage de rondeurs maniérées, de grâces factices, de vain savoir. Il étudiera la nature, il serrera de près le modèle vivant, il exigera de lui-même des animaux vrais, d’une anatomie exacte,