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LA LIBERTÉ DE L’ENSEIGNEMENT.


ces documens. Elles montreraient peut-être moins d’empressement à réclamer la liberté sous une forme si peu compatible avec les intérêts et le progrès de la science. Malheureusement ceux qui se sont faits les patrons de la liberté de l’enseignement supérieur en France ne passent pas pour avoir un amour très sincère de la liberté scientifique. Aussi, chaque fois qu’ils ont élevé la voix pour réclamer contre le monopole de l’état, les esprits les plus libéraux n’ont voulu voir dans leur revendication qu’un intérêt de parti. Nous ne prétendons pas sonder la conscience de .chacun ; aussi nous n’irons pas, comme l’a fait un éminent publiciste, chercher dans la constitution même de l’église, dans les écrits des pères et les décisions des conciles, la preuve que le parti catholique ne peut être sincère lorsqu’il demande une liberté. Mieux vaut croire à de nobles inconséquences qu’à des calculs intéressés. En face d’une revendication qui paraît légitime, il ne faut pas avoir d’autre souci que d’examiner comment pourrait être concilié le principe qu’on invoque avec les garanties que l’état doit conserver dans l’intérêt de la science.

III.

Cette conciliation nous l’avons cherchée, mais sans la trouver, dans la constitution de l’enseignement supérieur belge. Irons-nous la demander à quelque autre nation, plus heureuse ou plus sage ? Quand il s’agit des choses de l’esprit, il est impossible de ne pas tourner les yeux du côté de l’Allemagne. Comment l’Allemagne a-t-elle résolu la question ? A-t-elle rencontré dans l’organisation de ses universités cet accommodement que les pays catholiques n’ont pas encore su trouver ? A-t-elle fait la part de l’état et celle de l’individu, la part des catholiques et de ceux qui ne le sont pas ? Quand et comment ce partage s’est-il effectué ? Les lecteurs de la Revue connaissent déjà, par un article publié ici même[1], l’organisation des universités allemandes. La liberté d’enseignement, dans le sens spécial que nous attachons à ces mots, n’existe pas en Allemagne : aucun particulier, aucune association ne peut ouvrir un cours d’enseignement supérieur ni fonder une faculté sans une autorisation de l’état. L’état n’enseigne pas, mais il confère à des universités le monopole de l’enseignement. Comment se fait-il que ce monopole n’ait jamais été sérieusement attaqué ? Comment se fait-il que le parti catholique commence seulement à réclamer pour lui le droit de fonder des universités orthodoxes ? Pour quelles causes s’est-il

  1. Voyez dans la Revue du 15 septembre 1869 l’Enseignement supérieur des sciences en Allemagne, par M. George Pouchet.