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péril en la demeure. Pompilia ne l’aimait pas, et il réunissait toutes les conditions pour ne pas être aimé d’elle. Qui sait si elle n’était pas de connivence avec ses parens adoptifs? Il fallait donc au comte un gage plus sûr entre les mains. Ici commença pour Pompilia la période la plus odieuse de son supplice : ce que l’on exigeait d’elle, d’abord elle ne le comprit pas, puis elle en eut horreur. Pour mettre le comble à son épouvante, le mari, échouant avec la menace, employait un moyen de douceur digne de son infamie, en substituant un frère plus jeune. L’infortunée vivait entre deux monstres, entre la violence et le crime, l’adultère et l’inceste, sans connaître ces hideuses choses autrement que par son effroi et son dégoût. L’intervention de l’archevêque d’Arezzo mit fin à l’horrible lutte, et Pompilia se soumit aux volontés de son époux.

La satisfaction donnée à son seigneur et maître ne lui rendit pas la vie plus douce : Franceschini voulait un enfant, il ne voulait pas de la mère. Il lui plaisait que sa femme continuât de le haïr et d’avoir peur de lui; il lui convenait que Pompilia, par sa conduite, déconcertât les sympathies publiques. La pousser dans les bras du premier venu et la contraindre de chercher un refuge auprès de ces parens mêmes qui affectaient de la désavouer, la perdre ainsi de réputation et ôter à la confession de dame Violante toute apparence de vérité, c’était un coup de maître. Le tour une fois joué, il n’y avait plus d’un côté que des déclarations suspectes, de l’autre il y avait un contrat en bonne forme, un mariage, un enfant légitime. Qui pourrait désormais infirmer les droits de Franceschini à la succession? Du jour où Pompilia eut l’espoir assuré d’être mère, le comte fit tout pour qu’elle prît la fuite. Il entrait en des fureurs perpétuelles, simulait des jalousies que le sang pouvait seul éteindre; en même temps une servante, sa complice, appelait auprès de la jeune femme un homme de cœur, un prêtre capable de sauver la victime et de la conduire à Rome en bravant le danger du scandale, un prêtre jeune (il le fallait pour donner carrière à la médisance), un prêtre vertueux (l’instinct de Pompilia ne s’y serait pas trompé). Franceschini fait entrer dans ses calculs jusqu’à la vertu de sa femme. Il a compté même sur le dévoûment maternel : Pompilia serait morte rivée à sa chaîne, si elle n’avait dû songer qu’à elle-même; elle se décide à la fuite pour sauver son enfant de la mort dont elle est tous les jours menacée.

Les voilà donc sur la route de Rome, emportés dans un carrosse au grand trot, tous deux confians dans la sainteté de leur cause, tous deux persuadés qu’ils ont trompé l’ennemi. Celui-ci les suivait de près, comme le chat qui s’amuse avec sa proie; il les atteint au point et au moment qu’il a jugés le plus favorables, à une petite