Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/730

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ment la curiosité. C’est un sujet de cette nature qui a fourni la base du nouvel ouvrage de M. Browning, the Ring and the Book, l’Anneau et le Livre. Il convient pourtant de ne pas confondre ce poème avec les communes et grossières compositions qui suivent pas à pas la marche des drames judiciaires, et modèlent une fiction vulgaire sur un compte-rendu des tribunaux. Suivant sa méthode accoutumée, l’auteur prend tour à tour pour objet d’étude les acteurs principaux du débat : autant d’analyses personnelles où l’âme humaine est fouillée dans ses intimes replis. Seulement elles sont rattachées à un groupe qui leur sert de lien; il y a une action avec son denoûment et une idée qui se développe à travers les détails. Le choix d’une telle situation ne donne-t-il pas déjà au poème un caractère tout à fait moderne et vraiment contemporain ?

Dame Violante Comparini, habitant Rome avec un vieil époux, don Pietro, à qui elle n’a pas donné d’héritier, imagine de lui supposer une progéniture, dans le dessein de lui charmer les dernières années de la vieillesse, peut-être aussi de frustrer les espérances de certains collatéraux. Elle achète à une misérable femme tombée au plus bas degré de l’opprobre une petite fille que celle-ci vient de mettre au jour dans un bouge. L’enfant condamnée par sa naissance à l’indigence et au vice sera élevée dans la vertu et dans l’espérance d’une honnête fortune, l’enfant sans nom aura le droit de s’appeler Pompilia Comparini : de tels résultats semblent à dame Violante compenser suffisamment la laideur de son mensonge. Le bonheur naïf du mari facile à tromper achève d’ôter à l’audacieuse épouse ses derniers scrupules, si elle en conservait encore. Par un surcroît de prudence, elle se hâte d’établir la pauvre Pompilia, à qui sa beauté comme son patrimoine permettaient de peser son choix et d’attendre l’occasion. Craignant l’avenir, redoutant elle-même le secret de sa fourberie, comme si, malgré elle, ce secret était capable d’éclater un jour et de la confondre, elle estime plus sage d’assurer à celle que tout le monde croit, qui se croit elle-même sa fille, une position garantie par la loi et incontestable : elle la marie; mais il n’y a pas de sagesse qui puisse avoir pour fondement le mensonge. Un personnage plus noble que riche, plus avare qu’amoureux, le comte Guido Franceschini, se présente pour demander à dame Violante la main de la jeune héritière. Après avoir fait, pendant quarante années, la cour aux cardinaux et tenté d’épouser l’église, bien entendu avec une riche dot d’honneurs et de prébendes, voyant ses efforts sans succès, touchant de près à la soixantaine, n’ayant pas le cœur plus jeune que ses vêtemens râpés et son manoir délabré d’Arezzo, il veut faire une fin, renoncer à l’ambition, réparer le naufrage de ses espérances, restaurer le maigre palais