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avec les dattes à la poussière dorée, et le sommeil dans le lit desséché des rivières. Il rappelle à Saül son père chargé d’années, dont il a porté l’épée dans les combats, sa vieille mère qui élevait pour lui vers le ciel ses mains amaigries, ses frères dont les travaux faisaient prospérer la récolte, les amis de son enfance, de cette enfance qui présageait une couronne et devait porter au comble de la gloire et de la puissance le nom de Saül. Saul ! à ce nom, jeté avec un cri, le prince se réveille.


« Avez-vous vu, lorsque le printemps lance des rayons que rien n’arrête plus au passage, une montagne, dernier obstacle qui lui résistait, tandis que la vallée riante était tout en fleurs, garder encore sur sa poitrine de pierre la neige d’une année attachée à ses flancs comme une cuirasse? l’avez-vous vue lâcher enfin le suaire qu’elle retenait? Tous les plis retombant les uns sur les autres, le linceul se précipite à ses pieds avec le bruit du tonnerre. Vous apercevez devant vous, puissante et sombre, mais toujours vivante, la montagne que vous connaissiez, avec ses déchirures, avec les sillons creusés par les siècles. Tous les ravages supportés pour vous défendre, toutes les rides et toutes les blessures de sa tête, qu’elle mettait entre vous et les orages, toutes les traces de ses combats, saluez-les, elles sont toujours là. De nouveau elle va se revêtir de verdure, recevoir le nid de la colombe, couronner sa crête d’une pâture qui invitera le bouc et les jeunes chevreaux dans les ardeurs de l’été, — Un long frémissement agita la tente, l’air même fut ému; puis tout retomba dans le repos à la vue de Saül debout, mais calme et se reprenant à la vie... C’était de nouveau Saül que j’avais devant moi. »


La vie est un vin généreux dont les poètes remplissent la coupe qu’ils nous présentent; cependant à quoi sert ce breuvage, si les lèvres dont on l’approche s’en détournent? Pour vaincre l’âme de Saül et achever de la réconcilier, il faut d’autres pensées que celles de la vie réelle. David s’élève alors à des idées au-dessus du simple berger; le voyant succède au poète pastoral. A partir de ce moment, l’inspiration commence : il raconte le reste de la scène comme une série d’impressions divines pareilles aux songes fugitifs de la nuit. Ses yeux se portent au-delà du tombeau et de la mort. Il aperçoit dans l’avenir les générations futures groupées autour du marbre où reposera le corps mortel; mais la partie la meilleure survivra. Le souvenir du prince ne s’éteindra pas dans la pensée de son peuple; les arrière-neveux auront leur part de ses services et de sa gloire. En entendant ces chants sacrés, Saül reprend ses royales attitudes; il ramène ses noirs cheveux et ajuste les bandes de son turban. D’un pan de sa robe il essuie la sueur de son visage; il serre autour de ses reins sa ceinture, et porte ses doigts sur ses