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sont pas les instincts des neutres qui l’occupent, ce sont les modifications organiques particulières qu’ils présentent en rapport avec leur rôle social, le travail chez les uns, le combat chez les autres; mais le raisonnement qu’il fait peut également s’appliquer aux instincts, derrière lesquels apparaît toujours, quand on réfléchit un peu, cette modification latente de l’organe cérébral par où s’est faite la transmission.

M. Darwin commence par rappeler que le principe de l’élection naturelle est vrai aussi bien pour les communautés que pour les individus. La force d’un seul mâle dans un troupeau sauvage, la fécondité extraordinaire d’une seule femelle, seront des élémens de prospérité. Le troupeau réussira mieux que les autres. Les qualités de l’individu d’où il tire son avantage auront chance de se transmettre d’abord à tout le troupeau, et celui-ci, de plus en plus favorisé dans sa lutte contre le monde extérieur, absorbera les autres. La modification, individuelle à l’origine, deviendra générale. Il en serait de même si le membre du troupeau avantagé dans le principe avait été un neutre. Nous parlons toujours des formes extérieures. Supposons qu’un certain nombre de neutres aient apporté de naissance dans une communauté d’insectes une modification organique favorable, et que par elle cette communauté ait prospéré : les mâles et les femelles qui ont produit ces neutres auront donc, par eux, les plus grandes chances de postérité possible. Il peut arriver dès lors qu’ils transmettent à leurs descendans ce qu’ils avaient eux-mêmes, c’est-à-dire la propriété de procréer des neutres ayant la même modification organique favorable, et nous retombons ainsi dans le procédé commun de l’élection naturelle. Telle est l’explication de M. Darwin; il sent bien quand il la donne, compliquée comme elle est, que c’est le point délicat de sa théorie, le côté où viendra l’attaque; aussi comme il renforce ses argumens ! Il ne se contente plus d’expliquer, il démontre; on le croit à bout de raisons, c’est le moment qu’il choisit pour faire appel à l’expérimentation et prouver cette espèce de paradoxe qu’on pourrait appeler l’hérédité dans la stérilité. Il y a des bœufs dont les cornes sont un peu plus longues que celles des taureaux et des génisses qui leur ont donné naissance. Eh bien! dit M. Darwin, unissez les uns aux autres, par une sélection attentive, les descendans féconds des taureaux et des génisses qui ont produit les bœufs aux plus longues cornes, et avant peu vous aurez une race de bœufs où la longueur des cornes sera héréditaire, quoique l’animal soit stérile. L’expérience est à faire et digne de tenter quelqu’un de ces grands seigneurs anglais qui savent si bien dépenser leur fortune pour l’avancement des sciences. Il y a tout lieu de croire qu’elle réussirait, et si jamais ce frappant exemple vient à