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rait que le produit des facultés intellectuelles proprement dites, modifiées d’une certaine façon sous la double influence de l’hérédité et de l’habitude.

L’hérédité est, comme l’intelligence, une de ces qualités propres aux êtres vivans, dont on peut constater l’existence, mais dont le principe se dérobe à nos recherches de la manière la plus absolue. Quand nous voulons pénétrer par quel mystère la plante qui sort de la graine, l’oiseau qui se forme du jaune de l’œuf, seront semblables à la plante ou à l’oiseau dont ils proviennent plus qu’à tout autre, nous sommes devant l’inconnu le plus insondable. L’hérédité ne transporte pas seulement d’une génération à l’autre toutes les modifications imaginables de forme, de taille, de coloris; elle s’étend aux facultés cérébrales, transmises sans doute à la faveur de quelque particularité physique de l’organe de l’intelligence. C’est ce qu’on appelle l’esprit de race, qui fait que tel peuple naît fourbe et brave comme le Grec d’Homère, industrieux comme le Chinois, trafiquant comme le Juif, chasseur comme le Peau-Rouge. C’est là, si l’on veut, une sorte d’instinct que l’éducation permet quelquefois de maîtriser, mais ne corrige jamais. Comme le loup engraissé dans le chenil finit par retourner à sa vie misérable de la forêt, l’enfant sauvage élevé au milieu de la civilisation garde dans l’esprit comme sur les traits la profonde empreinte héréditaire de son origine. — Presque autant que l’hérédité, l’habitude est encore une faculté mystérieuse que nous constatons sans pouvoir l’expliquer. L’acte le plus difficile en apparence, qui a demandé de la part de notre cerveau une somme considérable de volonté et toute l’activité de notre esprit, finit un beau jour par se faire comme de lui-même. On dirait que l’attention et la réflexion sont descendues dans nos membres, qui exécutent les ouvrages les plus délicats, qui se défendent contre les agressions du dehors, tandis que l’esprit occupé ailleurs poursuit un but différent.

Tenons-nous à ces deux grands faits que nous présente le monde animé, à ces deux propriétés des êtres vivans aussi incontestables qu’inconnues dans leur essence, l’hérédité, l’habitude, et voyons comment elles vont se combiner avec l’intelligence dans la théorie de M. Darwin. On connaît celle-ci, nous ne nous y arrêterons pas. Cuvier croyait à l’immutabilité des formes animales jetées sur le globe par le Créateur à la suite de chacune des grandes commotions par lesquelles avait passé, selon lui, notre planète. La géologie moderne conteste ces secousses violentes, et M. Darwin, reprenant à son tour, après cinquante années de science acquise, les idées de Lamarck, est venu prétendra, avec des argumens presque irrésistibles, que les formes animales, loin d’être immuables comme l’ad-