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II.

Pour quels motifs réels la Prusse n’exécute-t-elle pas l’article 5 du traité de Prague? Nous essaierons de répondre à cette question obscure en nous aidant soit des paroles de M. de Bismarck, soit de correspondances émanées d’Allemagne et que nous avons tout lieu de croire éclairées et sincères. Ce n’est pas seulement, on le pense bien, pour le plaisir de retenir malgré eux sous sa domination quelques districts du nord du Slesvig, habités par deux cent mille âmes, que le cabinet de Berlin se prive du mérite de tenir sa parole envers l’Autriche ou, pour mieux dire, envers la France même. M. de Bismarck est certainement d’avis, comme nous le sommes de ce côté du Rhin, que de graves dissentimens entre la France et l’Allemagne seraient fort nuisibles aux deux pays, et qu’une guerre entre eux serait un épouvantable fléau. D’où vient donc l’ajournement que nous déplorons? On dit autour de M. de Bismarck : « L’exécution de l’article 5 n’est pas facile. Comment d’abord doit s’accomplir ce vote libre dont il est fait mention? Sans doute, dans la pensée du gouvernement français qui a dicté cette réserve, il s’agit du suffrage universel ; cependant ni la Prusse ni les duchés ne sont encore familiers avec ce mode de votation; quel droit aurait le Danemark à demander qu’on y eût recours? Secondement, sur quels districts portera la réserve? Quels districts seront appelés à voter? Le duché de Slesvig comprend au sud une nationalité aujourd’hui tout à fait allemande : ce n’est pas de celle-là sans doute qu’il s’agit. Au centre, la nationalité est mixte, et il y a encore des familles allemandes dans la partie septentrionale, bien que la majorité y soit danoise. Comment l’Allemagne abandonnerait-elle des districts où les Allemands sont aussi nombreux que les Danois? Tout ce qu’elle peut concéder, c’est que le vote ait lieu dans les districts qui sont purement du nord; encore ne rendra-t-elle ces territoires que si elle obtient des garanties en faveur des Allemands qui les habitent. La ville de Flensbourg, qui se trouve dans la partie centrale du Slesvig, ne saurait donc être appelée à voter. De plus il y a certains points au nord même de cette ville dont jamais la Prusse ne se dessaisira : telles sont les forteresses d’Als et de Dybböl, nécessaires à sa frontière, et où le sang prussien a coulé. »

Ainsi parle-t-on à Berlin; mais la réponse, en vérité, ne paraît pas difficile. Non-seulement vous savez que c’est le suffrage universel que la France, dès la conférence de Londres, en 1864, a proposé pour mettre fin à la situation équivoque des duchés, mais vous savez encore que les populations dont il s’agit de régler le sort